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le jeune auteur dramatique ne se décida-t-il pas sans un profond déchirement intérieur, et sans doute aussi s’exagéra-t-il le sacrifice qu’il accomplissait et les obstacles qu’il croyait dresser devant sa vocation d’écrivain. Comme son Philippe de Boisvillers, il revint au pays natal et comme lui il s’en trouva bien.


II — LE FRÈRE AÎNÉ D’OCTAVE FEUILLET

Il s’en trouva bien, parce que, délivré de toute collaboration et de toute défroque historique, rendu à lui-même dans le calme de la petite ville, il sut cultiver son jardin et trouver ses limites. Il découvrit la poésie de la vie simple, le lyrisme du train ordinaire, la vanité des fausses passions, les profondeurs des sentiments naturels, la beauté de l’honneur. Sur ces nouveaux thèmes il va broder les plus fines et les plus délicates variations. Le monde qu’il voit en Normandie, — monde alors très brillant, très entiché de sa noblesse, avide de réceptions, de fêtes, de chasses et des plaisirs plus secrets qui se dissimulent sous ces apparences, — le préparera à l’étude du monde plus raffiné de Paris et de la Cour dont il sera un jour l’historien. Il ne sait pas en rentrant chez lui, dans le maussade logis où l’attend un vieillard attristé et impérieux, d’ailleurs généreux et de grand cœur, tout ce qu’il gagne à ce retour. Les dix années qu’il y passera, — de 1849 à 1858 à peu près, c’est-à-dire de 28 à 38 ans, — seront parmi les plus fécondes de son existence d’écrivain, celles qui lui donneront sa manière et sa maîtrise. Dans le roman, elles le conduiront de Bellah au Roman d’un jeune homme pauvre, et peut-être même, demeuré à Paris, pris dans l’engrenage du théâtre, ne fùt-il jamais venu au roman, quand il doit à ses romans sa vraie gloire. Il prendra dans la Revue la place laissée vacante, — si vite, — par Alfred de Musset qui, en peu d’années, entre 1833 et 1837, y avait donné presque toute l’admirable série de ses Comédies et Proverbes. Sans l’égaler certes, il y publiera à son tour le Pour et le Contre (1er juillet 1849), la Partie de dames (15 juin 1850), l’Ermitage (15 septembre 1851), le Cheveu blanc (1er mai 1853), Dalila (1er septembre 1853), la Fée (15 avril 1854), etc. Et comme Philippe de Boisvillers encore, il épousera sa cousine.

J’imagine qu’il a pensé, sans nous le révéler, à sa fiancée en traçant le portrait de Jeanne de la Roche-Ermel dans les