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Einstein affirme qu’il en est convaincu…, il y a des événements objectifs distincts des événements intimes. En ce qui concerne la notion de simultanéité de deux événements, Einstein rappelle qu’elle fut longtemps la même pratiquement pour deux individus voisins, à cause de la grande vitesse de la lumière. Mais lorsqu’on analyse plus finement cette notion, et qu’on tient compte de ce que la propagation de la lumière, pour rapide qu’elle soit, n’est pas instantanée, on arrive à la conclusion de la Relativité : que la simultanéité est une notion variable d’un observateur à l’autre. De l’avis d’Einstein, il n’y a rien dans notre conscience qui nous indique la simultanéité de la « contemporanéité » des événements : ceux-ci sont des êtres logiques, non pas psychologiques, et ils sont immédiatement donnés. Si les philosophes peuvent concevoir un temps abstrait, une sorte d’extrapolation de leurs étals de conscience, il y a aussi un temps abstrait pour les physiciens : c’est le temps absolu de la science classique. En un mot, Einstein pense que « les philosophes n’ont pas un temps pour eux-mêmes. »

Cela ne veut pas dire que la Relativité soit incompatible avec la conception bergsonienne du temps. Einstein estime que tout système philosophique raisonnable, c’est-à-dire cohérent, est toujours et nécessairement en accord avec les sciences physiques et naturelles. Ce sont là des variables indépendantes, comme disent les mathématiciens.

Bref, une théorie scientifique n’est pas une philosophie, mais c’est quelque chose dont doit tenir compte la philosophie. Si la théorie de Relativité est exacte, toute philosophie cohérente devra se mettre en accord avec elle, mais elle ne constitue pas par elle-même une philosophie.

En réponse à une question qui lui fut posée par M. Meyerson à propos des idées de Mach, Einstein a été amené d’ailleurs à préciser sa conception de la science. S’il est d’accord avec Mach pour subordonner entièrement et toujours les concepts scientifiques aux données observables, il se refuse à admettre que la science ne consiste qu’en des relations brutes entre cas données. Pour lui, une science est un système, c’est-à-dire une synthèse logiquement déduite, non pas simplement un catalogue de faits, comme le prétendait Mach.