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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

sur laquelle M. Painlevé a si opportunément attiré l’attention.

Lorsque l’on ne connaissait que la théorie de Relativité restreinte qui laissait, comme la mécanique classique, une valeur absolue aux accélérations dans l’Univers, on avait même espéré un moment pouvoir mettre en évidence, par certaines expériences électromagnétiques nouvelles, ce milieu (appelons-le l’éther si on veut) par rapport à quoi existaient ces accélérations.

Mais il y avait là quelque chose qui choquait la pensée d’Einstein. Ses idées devaient lui faire rejeter a priori la possibilité d’atteindre jamais un espace absolu. C’est pour cette raison qu’il a appelé « Théorie de la Relativité restreinte » la première étape de son œuvre, laquelle ne s’appliquait qu’aux mouvements uniformes, voulant indiquer par là qu’il ne s’agissait que d’un premier pas dans la voie du relativisme total de tous les mouvements.

L’intéressante et si suggestive discussion soulevée par M. Painlevé sur ce sujet particulier et qui marqua le point culminant des discussions du Collège de France, a eu l’avantage de mettre en évidence avec éclat le fait que la « Théorie de Relativité restreinte » laissait en réalité subsister en mécanique des mouvements privilégiés, des axes de référence en quelque sorte absolus au sens galiléo-newtonien du mot. Certains avaient eu assurément tendance à l’oublier, mais tel n’a jamais été le cas d’Einstein.

Lorsque celui-ci a construit la Relativité restreinte, il n’a eu d’autre objet que de faire rentrer les phénomènes électromagnétiques dans le principe de Relativité classique. Mais il savait mieux que quiconque que c’était là une première étape seulement. C’est pour éliminer ce résidu d’« espace absolu » qui surnageait encore dans la Relativité restreinte qu’il s’est attaqué au gigantesque problème de la Relativité généralisée. Ici plus de mouvement privilégié. Vitesses uniformes et vitesses accélérées y sont fondues dans une synthèse grandiose et docilement asservies à une conception unique des phénomènes universels[1].

Nous venons de voir que le paradoxe signalé par M. Painlevé s’explique fort bien dans la Relativité restreinte elle-même, mais à condition de laisser une valeur absolue aux change-

  1. Voir les chapitres v et vi de mon petit volume : Einstein et l’Univers.