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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

l’instant précis où le rapide retraverse la gare, l’horloge que porte ce rapide marquera un temps moindre que l’horloge de la gare, comme peuvent le constater, à l’instant du passage, le chef de gare et le chef de train, lorsque les deux horloges se croisent et sont visibles simultanément.

Autrement dit, si, au moment où le rapide a croisé la première fois la gare, l’horloge de la gare et l’horloge du rapide marquaient simultanément par exemple midi juste, c’est-à-dire douze heures, zéro minute, zéro seconde, zéro millionième de seconde, ce synchronisme n’existera plus lorsque le rapide au retour retraversera la gare. Si l’horloge du rapide marque alors treize heures et zéro millionième de seconde, l’horloge de la gare marquera au même instant (défini par le passage du rapide dans la gare) treize heures et quelques millionièmes de seconde. On suppose bien entendu, je le répète, les deux horloges identiques et ayant des marches parfaites. Autrement dit, le temps propre écoulé entre les deux passages successifs du rapide à la gare sera plus petit sur l’horloge du rapide que sur l’horloge de la gare. Le chef de gare aura plus vieilli dans cet intervalle que le chef de train du rapide. Si même on pouvait prolonger suffisamment la longueur et la vitesse du trajet du rapide, il pourrait arriver que, lorsque celui-ci repasserait par la gare, le chef de gare aurait vieilli de dix ans tandis que le chef de train n’aurait vieilli que d’un an. Les chronomètres et les calendriers des deux hommes non moins que l’état de vieillissement de leurs organes ou le nombre des pulsations de leurs cœurs, supposé qu’ils les aient comptés, seraient là pour en témoigner.

Telles sont les conséquences imprévues, fantastiques, auxquelles conduit logiquement la théorie de la Relativité restreinte. Mais ce qui paraît choquant, insolite à M. Painlevé dans ces conséquences, ce n’est pas ce qui en elles heurte le sens commun ; ce n’est pas ces hommes dont les uns vieillissent réellement beaucoup moins vite que d’autres, simplement parce que ceux-là ont voyagé ; non, ce qui le choque ce n’est pas que, si j’ose dire, les voyages non seulement forment, mais prolongent la jeunesse ; son imagination d’analyste a fait déjà, sans doute, des rêves bien plus étonnants que cela, et il sait qu’un monde dans lequel les hommes pourraient avoir, les uns par rapport aux autres, des vitesses de dizaines de milliers de kilomètres par seconde serait un monde bien différent du nôtre.