Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis aperçu à ce que, lorsqu’il est arrivé à sa première scène avec la future duchesse :... Presqu’un vieillard. — Oh ! duc ? — Oh ! j’ai plus de quarante ans... au lieu de dire simplement : j’ai plus de quarante ans, il a dit : j’ai bien plus de quarante ans. A la 3e, il est vrai qu’il a supprimé le bien. Mais sa chemise est toujours boutonnée sur son vilain cou. C’est toujours ça. »


Le vieux lion, pourtant, ne cessait pas d’avoir des trouvailles dans ses rôles. « Il a trouvé, continue Eugène Feuillet, un nouveau truc qui ne manque pas de faire de l’effet et qui est bien de lui, au dernier acte. Tu te rappelles : il rend des tablettes à l’honorable capitaine : après les lui avoir remises, il prend une mine dégoûtée que tu vois d’ici, en regardant le gant dans lequel il tenait ces tablettes l’instant d’auparavant, ôte avec précaution ce gant que le capitaine a pu toucher et le laisse tomber comme une ordure... »

Cependant la vieillesse lui est cruelle. Ses trouvailles ne vont plus jusqu’à trouver un engagement à Paris. Il lui faut traîner Echec et mat tantôt à Saint-Denis, tantôt à Bercy, tantôt dans les provinces. Il est la pire chose au monde : un acteur démodé. Et toujours grandiose et grandiloquent, se rappelant ses triomphes dans Antony, il prend la manie de la persécution. Eugène Feuillet, fidèle aux amitiés d’Octave, va le voir dans sa loge de théâtre de banlieue et aussitôt les récriminations commencent :

— Que voulez-vous, Feuillet, on m’empêche de jouer à Paris. Mon cher ami, croiriez-vous cela : on m’empêche de jouer à Paris ! ! ! Est-ce que votre frère, l’ingrat ! n’aurait pas dû me faire engager au Théâtre-Français, voyons ? Empis (alors directeur de la Comédie-Française) m’avait bien parlé de quelque chose, mais il a peur de ses comédiens. C’est un gredin. Je l’ai rencontré l’autre jour dans la rue de Richelieu. Il n’a pas voulu me parler, parce qu’il craignait que M. Provost, M. Régnier, M. Samson ne le vissent causer avec moi. J’ai été obligé de le prendre de force par le bras. Il se cachait la figure pour n’être pas reconnu. Il m’a dit des choses fort désagréables, cet homme qui me doit tout cependant ! C’est une infamie. — « M. Empis, lui ai-je dit en me découvrant devant lui, je ne m’attendais pas à un accueil aussi funeste de la part de l’auteur de l’Ingénue à la Cour. Car, voyez-vous, Feuillet, c’est moi qui la lui ai,