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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

dans l’arène étroite qui court devant le tableau ; le premier pâle et avec quelque chose dans son attitude et sa dialectique qui respire la solidité inébranlable d’un bloc résistant depuis des siècles aux forces désagrégeantes ; le second tout coloré par l’afflux d’un sang ardent, avec dans ses gestes et ses raisonnements ces flammes soudaines et ces à-coups imprévus et brillants qu’on est accoutumé de voir donner l’assaut aux vieilles choses branlantes et renverser l’ordre accoutumé.

À en juger par l’apparence de ces deux hommes qui, armés tous deux d’un morceau de craie, couvrent le vaste tableau noir des bataillons serrés de leurs équations opposées, il semblerait vraiment que c’est Einstein qui est le « conservateur, » M. Painlevé qui est le « révolutionnaire. » Et pourtant, chose étrange, le contraire est vrai : c’est le premier qui bouleverse de fond en comble l’édifice traditionnel où somnolait dans une fausse sécurité l’esprit humain, tandis que le second se dresse comme un rempart devant la forteresse attaquée, devant la science newtonienne.

La discussion a porté sur un point important de la théorie de Relativité restreinte. Elle s’est terminée, — comme on verra, — par un accord complet des deux interlocuteurs, et elle a abouti à dissiper complètement un malentendu qu’avait pu faire naître dans certains esprits cette première partie, ce premier étage du monument einsteinien.

Voici, je crois, comment on peut exposer, sans faire appel à aucune formule, à aucun calcul ésotérique, la question soulevée et la réponse qu’elle comporte :

On sait, — je l’ai expliqué naguère, — que par suite de la propagation particulière de la lumière, il n’existe pas de temps universel, de temps absolu, et que les marches de deux horloges identiques ne paraîtront pas identiques à un observateur lié à une de ces horloges et qui voit passer l’autre à une très grande vitesse devant lui. L’horloge qui est immobile par rapport à moi me paraîtra marcher plus vite que celle qui se déplace rapidement, je l’ai montré ci-dessus. D’une manière générale, la durée des événements quelconques, comme la vibration d’un diapason ou les battements d’un cœur ou tout autre phénomène donné, paraîtra plus brève, plus précipitée à un observateur immobile par rapport à ces phénomènes qu’à un observateur devant qui le véhicule qui est leur siège passe en vitesse. À ce dernier obser-