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d’Einstein. Il y a quelques semaines, lorsqu’une place de correspondant pour la Section de Mécanique se trouva vacante à l’Académie des Sciences, quelques voix allèrent à Einstein, qui n’était d’ailleurs ni candidat, ni présenté. Parmi ces voix, M. Painlevé se plut à proclamer qu’il y avait la sienne. C’est à cette occasion qu’un membre, d’ailleurs fort éminent, de l’Académie eut ce mot délicieux : « Comment ! Vous voulez nommer membre de la Section de Mécanique cet Einstein qui détruit la mécanique ? » Car s’il est vrai que tout progrès, tout changement constitue par quelque côté une destruction de ce qui est modifié, c’est une tendance naturelle à beaucoup d’hommes de considérer cette destruction comme nécessairement mauvaise. La même chose arriva quand le système de Copernic détruisit le système de Ptolémée, quand la chimie de Lavoisier détruisit la vieille doctrine du phlogistique. Mais c’est, hélas ! la démarche de la vie elle-même de ne pouvoir s’élever et s’embellir que sur des ruines. Le papillon ne sort de la chrysalide, l’oiseau ne sort de l’œuf qu’en les déchirant, l’homme ne devient adulte que quand meurt ce qui fut en lui l’enfant. Aucune fleur ne s’épanouit qui n’ait d’abord rompu la fragile enveloppe du bourgeon. C’est aussi l’histoire de la doctrine einsteinienne. À moins de vouloir que l’Univers ne se fige dans une monstrueuse léthargie, que les idées ne se cristallisent à jamais dans des formes rigides dont l’immobilité serait sœur de la mort, il faut s’y résigner, et surtout dans la science dont la seule raison d’être est d’aller toujours plus loin.

Donc M. Painlevé n’a jamais cessé de saluer en Einstein un des génies les plus étonnants qu’ait vus l’histoire de l’esprit humain. De son côté, je sais qu’Einstein professe pour les travaux du célèbre géomètre français, la plus sincère admiration. Dans ces conditions, l’atmosphère où s’ouvrait la conversation des deux savants, était infiniment propice à ces chocs heureux où s’affrontent et s’animent les intelligences sincères et d’où jaillit plus de lumière.

Rien n’est plus amusant que de voir côte à côte, devant le tableau noir, Einstein et M. Painlevé : le premier toujours calme, armé de cette patiente douceur que soutient une sécurité absolue ; le second, impétueux et vif, tout bouillant de l’effervescence des idées et des arguments ; le premier immobile, le second ne tenant pas en place et sans cesse en marche