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mais à ce dernier point de vue la précision des observations astronomiques paraît actuellement insuffisante.

La principale et la plus sûre démonstration de la contraction du temps par la vitesse réside, comme pour celle des longueurs, dans toutes ces vérifications indirectes, mais concordantes dans leur multiplicité, que constituent les applications de cette notion à la mécanique nouvelle et les conséquences vérifiées qu’elle entraîne.

À propos de l’expérience de Michelson, Einstein m’a raconté depuis, que le célèbre physicien américain lui avait dit un jour : « Si j’avais pu deviner qu’on tirerait des résultats de mon expérience tout ce qu’on en a tiré, je crois bien que je ne l’aurais jamais faite. » C’est d’ailleurs une chose assez singulière et historiquement fort intéressante que l’altitude des principaux précurseurs de la Relativité en face de la théorie d’Einstein. Au cours d’une conversation récente, celui-ci m’a donné là-dessus des précisions curieuses et dont je crois utile de résumer ici l’essentiel.

Henri Poincaré est mort et certes c’eût été une chose profondément émouvante que de voir discuter avec Einstein ce puissant esprit qui sur tant de points a montré la voie. Eût-il été partisan de la théorie de la Relativité généralisée ? C’est probable, ce n’est pas absolument sûr. Étudiant dans maintes pages célèbres les origines et fondements de la géométrie, Henri Poincaré était arrivé à cette conclusion que, si elle n’est pas plus vraie idéalement que les autres, la géométrie euclidienne est celle qui correspond à la nature du monde extérieur et de nos sensations. Sur ce point Einstein s’est nettement séparé des idées poincaristes, à dater du jour où il a prévu l’incurvation par la pesanteur des rayons lumineux qui fut vérifiée naguère comme on sait et que Poincaré n’avait pas envisagée.

C’est là la clef de voûte de toute la Relativité, le point central dont Einstein a pu déduire que la géométrie réelle du monde est effectivement une géométrie non euclidienne. Il est bien difficile de savoir ce qu’en eût pensé Poincaré, Sûrement sous cette forme ou sous une autre, il eût été logique avec lui-même, relativiste intégral et il eût accepté avec une sympathie certaine tout ce qui lui eût permis de vivre sans ces créatures mystiques qui lui inspiraient une répulsion singulière : l’espace absolu et le temps absolu de Newton.