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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

gémir les presses. Assurément nous sommes tous peu ou prou métaphysiciens, et la ménagère qui se préoccupe de ce qu’elle fera manger ce soir à son époux est métaphysicienne, puisqu’elle présuppose l’existence de cet époux et partant du monde extérieur, ce qui est une hypothèse hardiment métaphysique. Mais, ceci dit, on peut affirmer qu’Einstein est certes le moins métaphysicien de tous les physiciens. Son mérite, — et la cause du scandale pour les misonéistes, — provient précisément de ce qu’il a, mieux qu’aucun avant lui, « démétaphysiqué » la science.

Une de ses préoccupations constantes est de faire bien comprendre son attitude particulière à cet égard. Dans son exposé du 31 mars, il s’en est longuement expliqué, en s’adressant, avec cette finesse pleine de sous-entendus qui le caractérise, à une espèce particulière de métaphysiciens : les mathématiciens, ou du moins les purs mathématiciens, ceux qui, perdus dans leur rêve abstrait, emportés par l’aile puissante de l’imagination vers des beautés irréelles, ne posent jamais le pied sur le sol rigide de ce qui est.

Einstein ne méprise certes pas les mathématiciens. Sans leur collaboration, il n’aurait probablement pu mener son œuvre à bien. C’est le calcul différentiel absolu de Ricci, les équations de Lévi-Civitta et de Christoffel, les géométries de Gauss et de Riemann qui maniées opportunément lui ont permis l’achèvement de son œuvre. Mais il se refuse à voir dans le calcul autre chose qu’un instrument, qu’un pont entre des prémisses expérimentales et des conclusions justiciables de l’expérience. Il veut que la mathématique soit la servante des faits, et toujours et avant tout il se préoccupe de la signification physique des symboles mathématiques. Ceux qui n’ont vu dans la théorie de la Relativité que son appareil mathématique sont pareils à des passants qui prendraient pour l’église de la Trinité l’échafaudage gigantesque qui en masque les lignes harmonieuses…, et d’ailleurs contribue peut-être à en assurer la solidité.

C’est là un des malentendus les plus fréquents qui se sont élevés entre ceux qui considèrent la théorie d’Einstein comme une théorie purement physique, — et nous sommes quelques-uns à avoir depuis longtemps soutenu ce point de vue, — et certains de ses adversaires mathématiciens.

Einstein s’élève avec force contre l’opinion maintes fois exprimée que la théorie de la Relativité n’est qu’une construc-