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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

France, sur la proposition de qui Einstein a été, — je l’ai déjà dit, — invité à Paris. C’est M. Langevin qui a réglé l’ordre du jour de ces séances si peu nombreuses, et où tant de sujets devaient être abordés. C’est lui qui d’une main à la fois ferme et discrète aiguilla les discussions, empêchant le débat de s’égarer, délimitant quand il le fallait, par un mot toujours opportun, la position exacte des adversaires, prenant part lui-même, dans des occasions rares, mais décisives, à la bataille, secourant les blessés peu gravement atteints… ou donnant le coup de grâce à ceux dont l’état était si désespéré qu’il importait de couper court à d’inutiles souffrances. C’est lui enfin qui a joué auprès d’Einstein le rôle indispensable et difficile, que celui-ci sollicitait dans sa lettre, le rôle du Pylade intellectuel, du « souffleur » averti dont le vocabulaire et la connaissance aiguë du sujet ne sont jamais en défaut.

La première séance eut lieu au Collège de France, le vendredi 31 mars à 17 heures, dans cet amphithéâtre VIII, qui, pour être le plus vaste de l’auguste maison, n’en est pas moins ridiculement petit. Dès longtemps avant la séance, la foule des heureux privilégiés, admis à cette audition unique, débordait de toutes parts, jusque dans les couloirs exigus, cette trop modeste salle où Einstein allait parler. Et tous ceux qui étaient là durent bien convenir, qu’en ce lieu du moins, l’inexistence de l’espace était bien certaine. Il y avait des étudiants, des professeurs, des savants, toute l’élite de la science et de la pensée française, tous les grands noms qui honorent ce pays. Par la densité des assistants, on se fût cru à quelqu’une des séances fameuses, où naguère un public idolâtre accourait aux leçons d’un Caro ou d’un Bergson. Mais en y regardant d’un peu plus près, la réminiscence n’était plus exacte. Il y avait vraiment très peu d’actrices en renom et de dames du monde dans ce public dont la compressibilité était mise à si rude épreuve. Là encore, la sévère honnêteté de M. Langevin avait marqué son passage, et autant on avait été généreux dans la distribution des cartes d’entrée aux hommes de science et d’étude, aux jeunes étudiants même dont la présence était là légitime, autant on avait été impitoyable à les refuser à tout ce qui pouvait représenter le snobisme, le cabotinage ou la simple curiosité mondaine. Aussi, tout compte fait, je ne suis pas bien sûr qu’on aurait pu compter dans ce foyer des élégances intellectuelles