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fuyant et introuvable, au demeurant un de ces délicieux bohèmes qui sont d’excellents compagnons beaucoup plus au café que dans un cabinet de travail, et qu’il faut savoir semer en route quand on doit faire un long chemin. Octave Feuillet gardera toujours pour lui de l’affection, mais saura ne plus collaborer. Son frère Eugène, plus tard, lui donnera déplaisants détails sur le genre d’existence de ce compagnon de leur jeunesse :


« Tu sais que Paul habite la campagne, Épinay. Il a là une petite maison assez laide, trop laide même, mais il l’a tout entière et avec un jardin. Dans ce jardin il a un tas de poules et de coqs, de faisans, de pigeons, de chiens, que sais-je ? c’est une vraie ménagerie. Les soins de cette ménagerie, du jardin, de la cuisine et de la maison, de l’enfant et de Paul, éreintaient sensiblement la jeune dame. Paul s’est dit : « Avec un tel train j’ai besoin d’un domestique mâle. » Il en a parlé à ses amis, et l’un d’eux lui a amené dernièrement un monsieur en habit noir, chaîne et montre d’or, etc., en un mot beaucoup plus beau que Paul : « Voilà votre affaire. » Paul l’a interrogé, a paru satisfait de son intelligence, de ses talents en cuisine et en jardinage et lui a dit : « Henri, vous me convenez. Mais vous conviendrai-je ? C’est une autre question. Mon intention est de vous donner trois cents francs de gages par an. Mais il est fort possible que je ne puisse vous les servir exactement, et il ne faudrait pas que vous en tiriez motif pour vous relâcher dans votre service. Je suis peu réglé dans mes habitudes. L’heure à laquelle je me lève aujourd’hui est celle à laquelle je me coucherai demain. Quant à la nourriture, mes repas ne sont pas plus fixes que mon lever et mon coucher. Si vous tenez à ce que les vôtres soient réguliers, vous ne ferez pas mal de vous livrer quelque peu à la maraude. » Henri n’a pas été effrayé de ce programme et fait partie de la maison. Paul prend plaisir à l’appeler de temps à autre pour lui demander l’heure qu’il est d sa montre. Enfin cela prouve toujours que Paul se trouve maintenant dans une position un peu meilleure, d’autant plus que son oncle ne lui donne plus un sou et qu’il ne doit plus rien qu’à lui-même. »


Heureux temps où les domestiques résistaient à une telle harangue ! L’oncle Bocage, l’acteur, avait fait des avances aux