Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ai traversé dix fois et j’y reste la onzième [1]. » Le mécanicien Vaslin rapporte cet autre propos : « Mes enfants, j’ai fait votre malheur. » Il est dix heures et demie. Vers midi, il réclame de l’eau. Vaslin le relève. Bernard le fait boire. Vers quinze heures, Bernard s’étonne que le général ne demande pas à boire ; il lui touche la jambe. Laperrine est mort, sans une plainte, sans un gémissement..


ÉPILOGUE

Le 6 mars, trois courriers arrivés à Tin-Raro n’ont apporté rien de précis. Mais on espère encore. Le colonel Delestre écrit ; « J’ai bon espoir que le général et ses compagnons sont sains et saufs... J’aime à espérer qu’entre temps, vous aurez reçu via Tamanrasset des précisions rassurantes. J’ai hâte de les apprendre [2]. » Le 7, le colonel arrive à Tin Raro ; immédiatement, les deux autos l’emportent vers Tamanrasset.

Pendant ce temps, les hommes et les détachements sillonnent le désert. De leur propre initiative, les petits postes de secours couvrent en huit jours les 425 kilomètres de piste jalonnée qui séparent Hoggar de Tin-Zaouaten ; un postier, le 22 février, avait réalisé l’étape Tin-Raro-Tin-Zaouaten en deux jours, cent soixante kilomètres. Quand il s’agit du général, rien ne coûte, nul effort ne paraît démesuré. Requiert-on un volontaire ? Le méhariste saharien El Haïmim ben Boukhobada sollicite l’honneur de courir seul à la recherche du groupe qui explore le Tanezrouft, l’étendue sans eau et sans végétation, où nul Touareg ne s’engage sans frémir, le pays de la peur ; il accomplit sa mission ; en cinq jours, il a parcouru près de six cents kilomètres. Et Samma ag Bensouri, nomade et solitaire, s’attarde, lui aussi, dans l’effroyable Tanezrouft pendant près d’un mois, pour y retrouver son général.

Le lieutenant Pruvost a quitté Tin-Raro le 10 mars à six heures. Ses guides sont peu sûrs. Il atteint pourtant sans encombre Anesbaraka, dont il repart le 14 à 5 heures et demie du matin. Il avait manifesté l’intention de marcher de nuit. Mais ses guides lui ont conseillé d’attendre le jour parce qu’il faut éviter un bras d’erg. Le détachement, toujours sans nouvelles,

  1. Adjudant Poivre, Correspondance privée.
  2. Rapport du lieutenant Pruvost.