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désespoir sont visibles sur nos traits ; j’échange des impressions avec Bernard. » Ces impressions, on les devine, le général se les traduit à lui-même.

Quand une nouvelle tempête de sable a fini de sévir le 3 mars, il appelle du geste plus près de lui ses deux compagnons : « Que voulez-vous de moi ? » Il respire avec peine, d’un souffle court et sifflant. Bernard lui confie qu’il a consulté les cartes ; « nous avons projeté de marcher vers Tin Zaouaten que nous croyons à 120 kilomètres ; nous rencontrerons en route, sans nul doute, du secours ; nous vous sauverons. » Le général sourit tristement : « J’y consens, mes enfants. Mais, si vous allez là-bas, vous n’en reviendrez certainement pas [1]. »

Ils espèrent ; ils partiront. « Nous préparons pour le général deux bidons : l’un contenant un litre de phoscao, l’autre trois litres d’eau. Ces deux bidons sont enterrés et munis chacun d’une tubulure permettant l’aspiration du liquide sans faire de mouvement [2]. » Il les appelle ses enfants ; eux prennent soin de lui comme d’un enfant. Admirable communion des pensées et des cœurs. Ils se mettent en marche. Mais à la troisième rangée de dunes, Bernard s’écroule comme une masse : « Je ne peux ni avancer, ni reculer, je reste là » Et cette fois, au bout de trois heures et demie, c’est Vaslin qui ramène son camarade, comme Barnard a ramené son chef, vers l’appareil, vers le home.

Comme le général s’affaiblit ! Il n’a pas eu, depuis leur départ, la force de boire ; à présent, il ne peut même plus tenir son quart. Ils le soulèvent un peu ; quelques gorgées de chocolat passent encore. Groupe touchant ! Au-dessus tourbillonne un vol d’oiseaux de proie. Le général est plus agité ; le soir, ils lui mettent sa combinaison et ses chaussures fourrées pour que, la nuit, il ne se découvre pas.

Quand ils s’approchent de lui le 5 au matin, apportant le quart de phoscao, ils constatent qu’il s’est déplacé de quelques mètres. Ils tendent vers ses lèvres l’aliment réparateur ; la bouche est pleine de sang. De la tête, il les invite à prêter l’oreille ; il murmure : « Mes enfants, on croit connaître le Sahara ; on croit que je le connais ; personne ne le connaît. Je

  1. Rapport de Vaslin.
  2. Rapport de Bernard.