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Kidal, professe pour le général Laperrine une foi agissante. « Rien de l’avion du général Laperrine. Nous avons tout mis sur pied, les partisans, pas le peloton, puisqu’il ne reste que les éclopés, les grands blessés et quelques tirailleurs. » Seule, une lettre du lieutenant Fenouil, de Tamanrasset, serait peut-être pessimiste, si un message de T. S. F qu’elle transmet ne paraissait incompréhensible. « Général Laperrine perdu dans région Tin Zaouaten. » Mais la note qui domine, c’est la note que claironne le courrier qui apporte la lettre du colonel Delestre. « Il cria d’aussi loin qu’il put la bonne nouvelle : le général Laperrine est retrouvé ! Nous accordâmes crédit à cette dernière [1]. »


LE MARTYRE ET LA MORT

On espère, on agit. Cependant, le général est étendu sous la couverture et près du fuselage, ses compagnons s’assoient le plus souvent auprès de lui. Les jours succèdent aux jours. Il prend un peu de phoscao ; il pousse de longs soupirs ; au moindre mouvement, les souffrances augmentent, et, dans le dos, le poignardent. Bernard et Vaslin sentent leurs forces décroître, bien qu’ils s’alimentent, bien que l’eau du radiateur, transvasée dans leurs bidons, trompe par instants leurs palais avides ; ni l’un ni l’autre ne peut parvenir à abattre une gazelle ; et tous deux, hallucinés, croient voir dans le nuage qui passe un être vivant qui s’empresse vers eux. Le général, de son mieux, les réconforte ; il veut qu’ils mangent, qu’ils boivent, qu’ils dorment. Dans la nuit du 25 au 26, à plusieurs reprises, Bernard s’entend appeler : « Dormez-vous, Bernard ? » Lui, ne dort pas. Il mange très difficilement : un quart de phoscao le matin, un quart de lait le soir, ou un quart d’eau dans laquelle on a fait tremper la viande de conserve. Son état devient inquiétant, alarmant lorsque le 27, pendant huit heures, une tempête de sable tournoie et rugit ; ils s’aplatissent sous leurs couvertures. Mais c’est son âme sans doute qui demeure seule impavide, car ses deux compagnons rédigent leur testament et se lamentent. Marcel Vaslin écrit, à la date du 1er mars : « Voici douze jours que nous n’avons vu personne, ni amis, ni ennemis ; des marques de grand

  1. Rapport du lieutenant Pruvost.