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Après le collège, il fallait choisir une carrière. L’autorité paternelle entendait disposer de l’avenir : elle destinait Eugène aux finances et Octave à la diplomatie. Eugène, plus dilettante, également doué pour toutes choses, — il écrivait fort bien, jouait du violon à merveille et sculptait avec talent, — se laissa faire et entra comme surnuméraire au ministère des Finances. Octave, lui, se sentait la vocation littéraire et résista. Son père lui coupa les vivres. Il resta à Paris, livré à ses seules ressources, et tenta la fortune au théâtre, tout comme Philippe de Boisvillers.

Mais il ne la tenta pas tout seul. Ou plutôt une tentative qu’il fit tout seul ayant échoué, il s’adjoignit un compagnon. Il avait fait représenter à l’Odéon (15 nov. 1845) une pièce en un acte, le Bourgeois de Rome, sorte de fantaisie qui n’avait pas le mérite d’être en verset que le public n’avait goûtée qu’à demi, et cet échec le laissait en assez piteux état, quand il se lia avec Paul Bocage, le neveu du grand acteur. Paul Bocage le recueillit rue Saint-Jacques chez ses parents qui tenaient boutique d’épicerie. Tandis que la mère Bocage leur confectionnait des pommes de terre frites dont Octave devait garder un excellent souvenir, les deux jeunes gens écrivaient drame sur drame et les portaient à l’acteur. Celui-ci, qui avait créé Antony, les poussait vers les grandes machines historiques, vers les pièces à costume, vers les coups de théâtre et les effets violents. C’était pour Octave la pire école, car il était ainsi poussé hors de sa nature. Il se mettait à la remorque du père Dumas. Ainsi furent composés et joués Échec et mat (Odéon, 23 mai 1846), drame en cinq actes, avec Bocage dans le rôle du duc d’Albuquerque, grand d’Espagne, Palma ou la Nuit du Vendredi Saint, encore cinq actes (Porte Saint-Martin, 24 mars 1847), la Vieillesse de Richelieu (Théâtre de la République, 2 nov. 1848), toujours cinq actes avec Bocage dans le rôle du vieux galantin. Les résultats ne furent pas très brillants. Les deux collaborateurs, las de traîner sur la scène le vieux bric-à-brac romantique, se tournèrent brusquement vers le vaudeville et firent représenter York au Palais-Royal (1er juillet 1852) avec lin peu plus de succès. Dans aucune de ces pièces ne se reconnaît la marque d’Octave Feuillet. Il ne s’était pas encore trouvé.

Ce Paul Bocage était un garçon charmant, plein d’esprit, mais n’en tirant rien, l’ami le plus fidèle, mais cessant brusquement de donner signe de vie, le meilleur fils du monde mais