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S’il a toujours considéré l’art du roman comme un art objectif, s’il a su créer, en les détachant de lui-même et de ses propres souvenirs, ce qui est le privilège de la création, des types humains taillés en pleine chair humaine, un Louis de Camors, un Maxime d’Hauterive, une Julia de Trécœur, une Sibylle de Férias, il s’est à demi livré, sous des aventures sans doute imaginaires ou du moins transformées, une fois, une seule fois, et c’est dans les Amours de Philippe. En deux mots j’en rappellerai la trame. Philippe de Boisvillers quitte le château paternel pour s’en aller tenter à Paris la fortune littéraire. Il s’y éprend d’une jeune actrice, Marie Gérald, qui voit surtout en lui l’artisan de sa fortune dramatique, car il a composé pour elle une pièce dont ils escomptent tous deux le triomphe. L’amour de la comédienne ne survit pas à l’échec de la première représentation. Puis il devient la proie d’une femme du monde, Mme de Tryas, qui, pour le garder et endormir les soupçons de son mari, ne craint pas de le pousser au mariage avec une cousine restée en province et qui, jadis, lui fut destinée par sa famille. Philippe est donc amené à revoir le pays natal. Il y revient dans de mauvaises conditions, pour une trahison assez basse, l’esprit et le cœur atteints. Ce retour va le transformer. Il comprend mieux la noblesse et l’utilité de ces existences terriennes, en contact avec le sol, les saisons et le travail des hommes. Elles assurent la santé physique et morale. Et surtout il rencontre cette cousine qu’il avait jadis dédaignée, Jeanne de la Roche-Ermel, et il se rend compte, non par un raisonnement logique, mais dans l’exaltation d’un amour naissant, — et d’un amour sans mensonges et sans fards, délicat et pur, — que son avenir et son bonheur sont là. Mme de Tryas, inquiète à distance, le vient réclamer. Quand elle a tout deviné, elle connaît une jalousie si violente qu’elle va jusqu’à la tentative criminelle pour se débarrasser de sa rivale. Celle-ci, pourtant, ne la trahira pas. Ce sera elle-même qui, vaincue par cette générosité, s’accusera devant son ancien amant avant de le quitter pour toujours.

Dégagé de toutes ces passions romanesques, ce livre nous raconte en somme le retour de l’enfant prodigue. C’est l’histoire d’un déraciné qui reprend ses forces et qui retrouve la direction de sa vie en touchant à nouveau, comme Antée, le sol natal. Or c’est très exactement l’histoire de la jeunesse d’Octave