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ligne, de l’Allemagne. A Berlin, les délégués des Soviets avaient cause gagnée d’avance ; la manœuvre, à Gênes, est plus délicate. A peine arrivé, M. Tchitcherine prend l’offensive et, dans une conversation avec le représentant du Daily Herald, journal communiste anglais, il pose ses conditions : respect de la souveraineté russe ; maintien du système économique de la Russie sous l’autorité des Soviets ; maintien de toutes les réformes sociales dues à la révolution russe. On ne voit pas très bien comment ces conditions, si elles devaient être prises à la lettre, seraient conciliables avec la renaissance d’une activité économique du type capitaliste. Il faut, continue M. Tchitcherine, abolir le militarisme, et pour cela d’abord « faire disparaître le danger d’une intervention en Russie. » Le Gouvernement des Soviets veut « mettre un terme au fléau des armements. » Il réclamera aux Alliés des indemnités pour les dommages causés par l’expédition d’Arkhangel, celles de Koltchak, Youdenitch, Denikine, Wrangel ; plutôt que d’y renoncer, « les paysans et les ouvriers de la Russie endureraient un nouveau blocus et de nouveaux sacrifices. » Attendons-nous sur ce point à quelques révélations à grand tapage au moyen de documents saisis dans la déroute des armées blanches. Les Alliés ne se laisseront pas intimider par de telles rodomontades qui cachent la terrible nécessité où se trouve la Russie ruinée et affamée d’ouvrir son marché et d’obtenir des crédits. Ce n’est pas l’Europe occidentale qui a besoin de la Russie, c’est la Russie qui a besoin d’elle parce qu’elle se meurt. Sur la restauration économique et financière prochaine de leur malheureux pays, les chefs bolchévistes paraissent se faire peu d’illusions ; il n’est pas aisé de faire du commerce avec un État où la circulation fiduciaire atteint 40 trillions de roubles-papier et où la monnaie n’a plus de valeur ! Leur objectif réel n’est pas là. Il reste celui que Trotzki a défini dans son dilemme historique : il faut que l’Europe bourgeoise périsse ou que nous périssions.

La Petite Entente, où dominent les Slaves, s’est préparée, par plusieurs conférences, à jouer à Gênes un rôle de premier plan ; elle souhaite une Russie prospère, mais pacifique. Les États baltiques et la Pologne sont prêts, eux aussi, selon les circonstances, soit à aider la restauration d’un ordre économique en Russie, soit à résister à son impérialisme. Toute une politique nouvelle se développe sur les rives de la Baltique, qui rappelle, par certains traits, ce qui s’y passait avant Pierre le Grand, et dont il est important pour la France de suivre le développement. Plusieurs conférences, en janvier 1920 à Helsingfors,