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REVUE MUSICALE



Théâtre de l’Opéra : Boris Godounov, de Moussorgsky ; paroles françaises de Michel Delines, revues par M. Louis Laloy. — Quelques concerts. — Le Carnaval des animaux, de Camille Saint-Saëns.


Le Chœur des vieillards a raison de dire à Perdican : « Il est plus doux de retrouver ce qu’on aime, que d’embrasser un nouveau-né. » Cela est vrai, même en musique, et c’est pourquoi la reprise d’un Boris Godounov ou d’un Falstaff nous fait beaucoup plus, infiniment plus de plaisir que la première représentation de maint ouvrage nouveau.

Mais quoi ! Peut-on trouver quelque douceur à la farouche, sauvage et par moments terrible musique de Russie ? Ne vous récriez pas. Ayez patience. Dans l’œuvre extraordinaire de Moussorgsky, après la violence et la frénésie, la tendresse, la suavité même a sa part.

La force pourtant y domine, et le plus souvent la force de l’épouvante et de la douleur. « Je ne me souviens pas d’une Muse aimable et caressante, chantant de douces chansons au-dessus de moi... Celle qui m’a opprimé de bonne heure, c’est la Muse des sanglots, du deuil et de la souffrance, la Muse des affamés et des mendiants. Ses chants simples ne respirent que le chagrin et une plainte éternelle. » Ces paroles de Nekrassof, le grand poète réaliste, on pourrait les graver sur la tombe du grand musicien réaliste Moussorgsky. Muse des sanglots, et des sanglots de tout un peuple, dès le premier tableau de l’opéra, c’est elle qu’on entend. Après la mort du tzar Feodor, Boris, le régent, l’assassin du tzarevitch Dimitri, s’est retiré dans un couvent, aux portes de Moscou. Le peuple, ignorant son crime, l’adjure, vainement encore, de prendre la couronne. En dépit de ceux qui recommandent le drame lyrique obstinément intime, tout