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qu’il pense, — peut-être sa bienveillance exagère-t-elle, — avoir été surmontée avec succès par certains. Il parle en riant d’un concours organisé par un journal américain dans le dessein d’expliquer en moins de 3 000 mots et sans formules la doctrine de la relativité. « Je n’ai connu personne autour de moi qui n’ait pas pris part à ce concours ; moi seul, je n’ai pas osé. » Et il rit.

Vers la fin de cet entretien inoubliable, nous parlons malgré tout un peu des circonstances de ce voyage et des cabales qu’Einstein a dû subir déjà. « Tant que les gens ne passent pas aux actes, nous dit-il en mettant ses mains sur sa poitrine, je dois les laisser dire tout ce qu’ils veulent, puisque moi aussi j’ai toujours dit ce qu’il me plaît. »

Comme l’un de nous, à propos des opinions des intellectuels allemands, parle des partis de gauche : « Je ne sais pas au juste ce que cela veut dire, répond Einstein avec son bon rire, car je crois que la gauche est une chose polydimensionnelle ! »

Quand je lui parle de la curiosité intense, du respect avec lesquels on l’attend, de l’énorme intérêt qui s’attache en tous lieux à ses idées et à sa personne, il répond avec une stupeur qui n’est pas feinte : « C’est incroyable ! »

Mais voici la gare du Nord (déjà, hélas !) ; il faut mettre un terme à cet entretien captivant. Einstein qui se sent un peu fatigué, et qui veut échapper autant qu’il le peut (et il ne le peut pas autant qu’il voudrait, c’est une des rançons de la gloire) aux indiscrétions de la publicité, a manifesté le désir formel de ne pas descendre sur le quai d’arrivée, où photographes, reporters, cinématographistes et personnalités officielles et diplomatiques l’attendent en masses imposantes. Subrepticement, comme trois larrons, nous descendons donc à contre-voie ; à travers les voies et les fils de fer des signaux, nous gagnons une petite porte dérobée donnant sur le boulevard de la Chapelle, désert comme le Sahara (il est minuit passé). Einstein, qui a toujours à la main sa petite valise, et qui s’amuse de l’escapade comme un enfant, s’engouffre démocratiquement dans le métro, et ne peut se défendre d’un rire homérique, lorsque nous repassons, comme l’éclair cette fois, au-dessus de ces voies et de ces quais où on l’attend toujours.

Tel est l’homme délicieux à qui Paris, il faut le reconnaître, a ouvert ses bras avec tout ce qu’il sait mettre parfois de charme, de tact, de respect dans son accueil.

A l’heure où j’écris ces lignes, les passionnantes controverses, les discussions auxquelles la théorie d’Einstein a donné lieu au Collège