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encore ces plis creusés par la réflexion et qui, des commissures des paupières, prolongent l’œil doucement, comme un trait de kohl. Les cheveux très noirs, semés d’argent, indisciplinés, retombent en boucles vers la nuque et les oreilles, après s’être élevés tout droit, comme une flamme immobile, de ce large front.

Au total, l’impression, d’une déconcertante jeunesse, est fort romantique, et à certains moments évoque invinciblement en moi l’idée d’un Beethoven adolescent, sur qui la méditation aurait précocement marqué sa griffe, et qui eût été beau. Et puis soudain, quand le rire arrondit ses joues, on dirait un étudiant. Tel nous est apparu l’homme qui a jeté plus profondément qu’aucun autre avant lui, les sondes de la pensée dans les gouffres étonnants du mystérieux univers.

Bien vite fa conversation s’engage et aussitôt elle dévale vers les choses de la science. Comment en eût-il pu être autrement ?

Einstein parle fort bien le français, comme en ont pu juger ses auditeurs parisiens, avec une certaine lenteur qui n’est pas sans charme, et beaucoup de calme douceur. On sent qu’il cherche parfois ses mots, jamais ses idées. En Amérique et en Angleterre, il avait dû faire ses conférences en allemand, connaissant insuffisamment l’anglais. En Italie, il les fit en italien. A Paris, il aura manié notre langue avec beaucoup de clarté.

Nous parlons de beaucoup de questions scientifiques à l’ordre du jour, des électrons (au sujet desquels Einstein rappelle une belle contribution d’Henri Poincaré), des isotopes, de la théorie des quanta. A propos de celle-ci, et des difficultés auxquelles elle se heurte, et qui paraissent à certains insurmontables, Einstein dit : « C’est un mur où l’on est arrêté. C’est une chose terrible que ces difficultés ; pour moi la théorie de la relativité n’a été qu’une sorte de répit que je me suis donné dans leur examen. » Peut-on parler avec plus de modestie enjouée de ce qui a rénové toute la science ?

L’entretien dévie vers l’éclipse totale de soleil qui doit avoir lieu dans quelques mois et qui sera visible en Australie et une partie du Pacifique. On sait, — j’ai eu l’occasion de l’expliquer ailleurs, — qu’une des plus étonnantes confirmations des prévisions théoriques d’Einstein fut la constatation faite par les astronomes anglais durant l’éclipse totale du 29 mai 1919 que les étoiles observées près du disque éclipsé du soleil ont leur lumière déviée et comme attirée par celui-ci, contrairement à toutes les idées classiques.

Pour la science classique, en effet, la propagation de la lumière