Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attitude que nous avons dite, il acheva, en 1915, les lignes principales de l’œuvre qui en fait le premier cerveau scientifique de ce temps. D’ailleurs Einstein ne professe pas à Berlin. Il fait un cours deux fois par ans à l’Université de Leyde (Hollande).

Einstein a été souvent interrogé par des journalistes indiscrets sur sa nationalité. Il y a deux ans, au Times qui lui avait posé la question, n répondait à peu près en ces termes au cours d’une lettre publiée par le grand journal de la Cité : « Si l’expérience confirme l’exactitude de mes théories, je serai pour les Allemands un Allemand et pour les Anglais un Juif Suisse. Si l’expérience dément ma théorie, ce sera le contraire... »

Ces termes sibyllins et ironiques, le mystère qu’Einstein a toujours laissé volontairement planer au sujet de sa nationalité proviennent d’un sentiment infiniment délicat : citoyen suisse depuis plus de vingt ans, Einstein ne peut pas laisser dire qu’il est de nationalité allemande. Il ne veut pas non plus qu’on proclame trop bruyamment qu’il n’est pas Allemand, car il n’oublie pas qu’il est né en Allemagne et que c’est là qu’il a mené à bien l’achèvement de sa théorie, comme pensionné de l’Académie de Berlin, comme « employé de cette Académie, » ainsi qu’il me disait lui-même, avec une de ces impropriétés d’expression qui lui sont coutumières et dont on ne sait jamais si elles ne cachent pas quelque ironie profonde.

Or l’âme d’Einstein est aussi nuancée que ferme. Il a courageusement dit leur fait aux mauvais bergers de l’Allemagne et à tous leurs complices, académiques ou non, et alors qu’il y avait pour lui danger de mort à l’oser. Ceci fait, il eût considéré comme une lâcheté de paraître renier le pays qui lui a fourni les moyens matériels de poursuivre ses découvertes.

De là, — il était facile de le deviner, — l’imprécision voulue qu’il a laissé régner dans les esprits au sujet de sa nationalité. Elle provient d’un sentiment d’une noblesse infinie et devant lequel tous les gens de cœur doivent s’incliner. Einstein ne m’eût certainement point pardonné, si, voulant fermer la bouche à quelques pauvres calomniateurs de son génie, j’avais apporté ces précisions durant qu’il était notre hôte. Il eût, dans l’extrême délicatesse de sa sensibilité, considéré cela comme un manque de courage. Aujourd’hui il est parti et je me suis permis de passer outre à ses scrupules, afin que fût définitivement fixé un point d’histoire qui a fait couler beaucoup d’encre.

Tout ceci dit, il convient de reprendre la question de plus haut.

En invitant Einstein à venir parler à Paris, le Collège de France