qu’aient connue les Arméniens depuis la conquête turque : la période comprise entre 1830 et 1870, qui eut son apogée en 1860, vit les Arméniens de la capitale occuper les plus hautes fonctions publiques et ceux des provinces jouir d’une justice et d’une sécurité relatives. Une bourgeoisie arménienne riche, instruite, active, acquit une importance de plus en plus grande dans les affaires municipales des villes, comme dans la vie politique et économique de l’Empire. C’est alors que se produit le grand mouvement de réveil national, dont la Constitution de 1860 définit assez bien les tendances. Partout les notables ouvrent des écoles, et le peuple y accourt. On revient à la langue nationale, que beaucoup d’Arméniens avaient abandonnée pour adopter la langue turque. On crée des journaux, des revues. La renaissance littéraire se traduit par des romans, par des drames, et surtout par des chansons [1].
Les Turcs parurent d’abord indifférents à ce réveil national. « Un peuple qui chante, — disaient-ils, — ne songe pas à se révolter » , et Ali Pacha définissait la constitution de 1860 « une roue quadrangulaire impossible à mouvoir. » Ils commencèrent à s’inquiéter lorsqu’ils virent les Arméniens faire appel à l’Europe et invoquer son intervention dans les affaires intérieures de l’Empire ottoman. Une première démarche fut faite en 1878 auprès du grand-duc Nicolas, presque sous les murs de Constantinople, et aboutit à l’insertion de l’article 16 dans le traité de San Stefano. Quelques mois plus tard, une délégation arménienne se rendait à Berlin : ses efforts eurent pour seul résultat le fameux article 61 du traité de Berlin, aux termes duquel les Puissances promettaient à l’Arménie un certain nombre de réformes, dont elles confiaient l’exécution au Gouvernement de Constantinople.
La promesse était illusoire et la confiance bien mal placée. Il est vrai que les Anglais, dans les années qui suivirent l’occupation de l’Egypte, intervinrent fréquemment et dans une forme très énergique, pour recommander la prompte réalisation des réformes annoncées : l’article 61 était devenu le pivot de la politique anglaise dans le Levant. Abdul-Hamid donnait de bonnes paroles à l’ambassadeur britannique à Constantinople et, dans le même temps, provoquait lui-même en Asie l’extermination
- ↑ Voir dans la Revue des Deux Mondes, du 15 avril 1854, l’article de Dulaurier.