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vivement cet accord entre nos deux grandes protectrices, que la Grèce se sent attachée à la France par un sentiment profond et une longue tradition. Cette tradition nous semble aujourd’hui compromise, et non par notre faute. L’attitude que la France a prise à notre égard nous étonne : comment l’expliquez-vous ?

— Mon Dieu ! — répondis-je un peu gêné, — l’attitude du roi Constantin avait eu de quoi étonner la France.

— L’épisode auquel vous faites allusion fut très douloureux pour nous, — reprit vivement mon interlocuteur. — Mais enfin ce n’est qu’un épisode, et vous ne pouvez, en bonne justice, faire porter la faute d’un homme à tout un peuple. Nous-mêmes, ici, avons pendant longtemps tenu rigueur à Constantin de sa conduite envers les Alliés. Lorsqu’il fut question d’adresser au Roi des félicitations pour sa victoire, il y eut au Phanar de longues hésitations, et même des résistances assez vives. Voilà des faits qu’on devrait connaître en France. ,

— On ne les ignore point, — dis-je. Mais on sait aussi que l’Angleterre a déployé de grands efforts pour pousser les Grecs en Asie, puis pour y assurer le triomphe de leurs armes. Et l’on se demande avec quelque inquiétude si, en installant la Grèce à Smyrne et à Constantinople, l’Angleterre n’aurait pas la pensée de s’y installer elle-même.

— Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, observa M. P... qui jusqu’alors n’était pas intervenu dans la discussion. L’Angleterre possède en Orient des intérêts considérables, prépondérants. Mais la France n’a-t-elle pas tout intérêt à s’entendre avec elle, plutôt que de donner l’impression que sa résistance est impuissante et que c’est la volonté de l’Angleterre qui triomphe ? »

Il y eut un silence et je poursuivis : « Enfin notre attitude s’explique peut-être par une troisième considération. Le Saint-Siège, qui, tout en déplorant la révolution russe, s’était félicité de la ruine du césaro-papisme en Russie, parce qu’elle entraînait l’échec des entreprises orthodoxes en Orient, voit aujourd’hui la Grèce reprendre à son compte les anciens projets de l’orthodoxie russe et menacer par sa propagande les positions que l’Eglise catholique maintient si laborieusement en Asie occidentale. Or, dans le Levant, les destinées de la France et celles du catholicisme, sans nullement se confondre, sont pourtant