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d’y voir les Russes. » Rendre Byzance aux Grecs, c’est résoudre la question d’Orient. Le califat musulman doit le peu de force et d’éclat qui lui reste au seul fait d’être établi dans la ville où siégeait autrefois l’Empereur romain. Chassés de Constantinople, les Turcs et leur Sultan ne compteront plus pour rien, ni dans le monde, ni même dans l’Islam. »

J’observai que, lorsqu’on aurait chassé les Turcs de l’Europe, encore faudrait-il les mettre quelque part.

— Ils retourneront en Asie, d’où ils sont venus, répondit M... Bey. J’étais ministre dans le cabinet ottoman à l’époque de la guerre balkanique. Après Tchataldja, le Grand-Vizir réunit le conseil et l’on délibéra sur l’opportunité de transporter le siège du gouvernement en Asie, à Koniah, par exemple. Tous approuvèrent cette résolution : je fus seul à la combattre et à déclarer qu’étant ministre européen, j’entendais rester en Europe. Vous voyez bien que si l’on montre aux Turcs le chemin de l’Asie, ils le prendront sans difficulté. Quant à la question du califat, je ne comprends pas pourquoi les chrétiens d’Occident s’en montrent si préoccupés. Ils comparent toujours le calife au Pape : ils ont tort. Le Sultan des Osmanlis n’est calife que par hasard et depuis quelques siècles ; encore sa suprématie religieuse n’est-elle reconnue ni par les musulmans du Maroc et des Indes, ni par ceux de la Perse et de l’Afghanistan, ni même, à le bien considérer, par les Arabes.

« Reste la question des Détroits : elle est indépendante de celle de Constantinople. La Grèce, une fois installée ici, admettra fort bien que les Détroits soient soumis à un contrôle international, par exemple à celui de la Société des Nations. Vous êtes bien obligés de reconnaître que la solution de 1878 était mauvaise : personne n’a pu empêcher les Turcs d’ouvrir aux Allemands les Dardanelles et le Bosphore. En cas de guerre, il n’y a plus de neutralité qui tienne. Voyez ce qu’il est advenu du canal de Suez, théoriquement neutre : les Alliés en ont disposé en maîtres. Le but que vous devez atteindre, c’est d’éloigner des Détroits l’Allemagne et la Russie : avisez aux moyens les plus efficaces, la Grèce n’y fera pas d’objection. Mais si la France et l’Angleterre n’accordent pas leurs politiques sur ce point, nous verrons l’Angleterre toute seule, étant la Puissance la plus forte sur mer, ouvrir et fermer les Détroits à sa convenance et au gré de ses desseins. Nous souhaitons d’autant plus