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glorieux de Constantin le Grand et destinée à marcher sur la capitale de l’Empire ; dans l’esprit de beaucoup de Grecs, l’entrée triomphale du roi des Hellènes à Constantinople n’était plus qu’une question de jours. On trouvera sans doute un reflet de cet état d’esprit dans quelques-unes des conversations que je vais rapporter ; cependant le soin que j’ai pris de ne consulter que des hommes d’esprit assez large et de vues assez nettes pour dominer les circonstances, assure un certain caractère de généralité aux témoignages dont je fais état : ils traduisent moins encore l’impression d’un moment, que le sentiment profond et réfléchi d’une situation définie depuis longtemps.

Un Grec très parisien, fils d’un ancien ambassadeur de Turquie, et qui fut lui-même ministre du sultan, avait bien voulu me faire rencontrer chez lui avec quelques-uns de ses compatriotes, choisis parmi les plus notables et les plus représentatifs de la nation. Notre hôte avait eu soin, sur ma prière, de définir lui-même l’objet de l’entretien : la question était de savoir si les Grecs pouvaient, oui ou non, continuer à vivre avec les Turcs, et à faire partie de l’Empire ottoman.

« Nous avons fait ce que nous avons pu, commença M. K..., pour vivre en bon accord avec les Turcs. La génération qui a précédé la nôtre préconisait la collaboration et la pratiquait très loyalement, non seulement dans les grandes affaires de l’Etat, mais dans la vie de chaque jour. Je dois reconnaître que les Turcs s’y prêtaient volontiers ; car, quelque étrange que la chose puisse vous paraître, la seule nation qui leur inspire confiance, c’est la nation grecque. Ils confient au Juif, à l’Arménien certaines besognes inférieures ; mais c’est chez les Grecs qu’ils choisissent leur avocat, leur médecin, leur homme d’affaires : ils savent que nous ne les avons jamais trompés.

« Cependant nos bons offices, privés ou publics, n’ont jamais été reconnus par la garantie formelle d’une condition telle que des hommes libres et des chrétiens puissent l’accepter. Dans cet Etat, dans cette ville où nous sommes tout, les Turcs nous traitent en sujets et en intrus. Car les Grecs sont ici chez eux ; Constantinople est leur héritage et doit leur appartenir.

« Il n’y a qu’une question en Orient, c’est la question de Constantinople. Laisser cette ville aux Turcs ? c’est impossible ; aux Russes ? ce serait dangereux. Nous-mêmes avons dit souvent aux Turcs : « Nous aimons encore mieux vous voir ici que