« le célèbre Fauche-Borel. » Mais sa présence eût été nécessaire et il vivait peu à Neuchâtel, toujours sur les routes, agité, en proie à une excitation que sa fatigante activité ne parvenait pas à calmer. Il partait sans raison, revenait à l’improviste, semblable maintenant à un acrobate qui a laissé choir son balancier et tente cependant de se maintenir sur la corde raide. Dans la seconde quinzaine d’août 1829, il reparut à Neuchâtel, rentrant de Paris en proie à un égarement inquiet : il ne cachait pas que ses affaires allaient mal ; ses créanciers étaient intraitables ; on le menaçait de la faillite, peut-être de la prison. Il parlait de mourir et, par moments, son agitation faisait place à une profonde mélancolie ; on le surprit, un jour, maniant un rasoir... Les vieux Neuchâtelois se rappelaient que le père de Fauche donnait, sur la fin de sa vie, des signes de dérangement d’esprit et avait, durant sept années, soutenu contre la ville un procès auquel il s’était obstiné avec une exaltation maladive.
Le 4 septembre, vers quatre heures de l’après-midi, Fauche-Borel monta au dernier étage de son hôtel ; de là on découvrait un vaste et splendide horizon : le lac, les montagnes, la campagne verte et, massée sur la colline, la vieille ville, avec son tohu-bohu de toits, la gerbe de tours de son ancien château, la flèche de la Collégiale, le lacis des rues étroites que dominait le fronton de l’Hôtel de Ville ; derrière montait la rue de l’Hôpital, avec la modeste maison que Fauche avait quittée, un jour de juillet 1795, pour courir après la fortune. Trente-quatre ans de cela ! Et il se retrouvait, à soixante-sept ans, plus pauvre qu’en ce temps lointain, quand il vivait là avec sa femme et ses enfants. Alors il se pencha, s’élançant ; son corps tourna dans l’espace et vint s’abattre, brisé, sur le sol.
G. LENOTRE.