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Le pauvre libraire, qui s’était attendu à des félicitations, écoutait, consterné, n’en croyant pas ses oreilles. On ne le lui envoyait pas dire : même absolument lavé de l’immonde calomnie de Perlet, il n’avait pas à espérer la fin de sa disgrâce ; car c’était bien manifestement le Roi qui se faisait entendre par la voix de son Procureur : nul magistrat, en effet, ne se fût permis de si catégoriques déclarations, s’il n’y eût été expressément invité par « quelque inspiration d’en haut, » émanant, très probablement, de la Chancellerie. Et le discours prend l’allure d’un âpre réquisitoire : — Contre Perlet ? — Non, contre Fauche-Borel, pris maintenant directement à partie : — « Vous avez voulu vous justifier ; mais, pour le faire, vous avez commis l’indiscrétion la plus condamnable ; vous avez fait connaître des pièces qui auraient dû rester secrètes... » Fauche-Borel n’a-t-il pas, du reste, été récompensé bien au delà de ses mérites, et quel mortel n’envierait son sort ? Songez donc ! — « Il a fidèlement servi le Roi ; il a joui de sa présence auguste ; de sa bouche sacrée il a reçu des témoignages de sa bonté, caractère prédominant de notre souverain ; il a vu à découvert ce cœur royal et pur dans ses projets d’amour pour son peuple... Pourquoi n’a-t-il pas conservé dans le secret de son âme ce bonheur dont tous les Français seraient jaloux ? En le divulguant il en devenait moins digne ! »

Vittel n’a-t-il pas joui, lui aussi, « du bonheur le plus ineffable ? — N’est-il pas mort pour la cause du Roi ? Mort digne d’envie, mort glorieuse, mort qui illustrerait la vie la plus obscure et la plus ignorée. » On s’attarde ici, peut-être trop complaisamment, à cet échantillon d’éloquence judiciaire ; mais, outre que cet étonnant pathos contient en germe le triste dénouement des aventures de Fauche-Borel, il est un spécimen curieux de ce qu’inspirait à un magistrat qui, trois ans auparavant, avait « requis » tout aussi chaudement, il n’en faut pas douter, au nom de Sa Majesté l’Empereur, l’idolâtrie de commande pour ce Roi si longtemps dédaigné.

Le jugement fut rendu le jour même ; il donnait satisfaction sur tous les points à Fauche-Borel qui s’entendait « renvoyé » de la plainte incidente en calomnie portée contre lui par Perlet ; Perlet était condamné à cinq années d’emprisonnement, à 2 000 francs d’amende, à l’interdiction de ses droits civils pendant dix ans, à la restitution de la somme escroquée par lui à Fauche-Borel,