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afin de s’attirer les faveurs du premier Consul, il s’est plié aux plus viles besognes policières, il a reçu l’argent de toutes mains, toujours abîmé de dettes, toujours cherchant à « se refaire » en livrant quelqu’un ou en trafiquant de quelque chose. Près de se noyer dans sa fange, il est repêché par Napoléon qui l’attache à son cabinet secret où, suspect à tous, il est étroitement surveillé et ne peut s’absenter sans être pisté, tant on redoute une nouvelle trahison, et ses protestations réitérées de dévouement au maître qui le méprise et qui l’emploie sont écœurantes de flagornerie. C’est ce même Montgaillard qui se présentera, le premier, à Louis XVIII arrivant à Compiègne et, avec un aplomb satanique, à ce Roi que, en maint écrit, il a ridiculisé et diffamé, dira, d’un ton dégagé : — « Votre Majesté a trop d’esprit pour ne pas m’avoir compris... ! » Sur le champ il entonne la louange des Bourbons avec le même enthousiasme qu’il a chanté Bonaparte ; tout de suite il est employé : en collaboration intime avec Louis XVIII il compose une brochure — manifeste, inimitable modèle d’impudente palinodie, et tant que régnera ce Roi désiré, il sera indemne de toutes représailles ; on le ménagera, on l’utilisera, on le paiera bien et on le laissera « vanter son honneur » et la « pureté de son âme, » sans que personne songe à rire ou à s’indigner.

Perlet n’était pas d’adresse à réussir pareille pirouette ; c’eût été, d’ailleurs, risquer, bien inutilement, de se casser le cou, car la vaniteuse naïveté de Fauche-Borel se leurrait à moins de frais encore que la crédule finesse de Louis XVIII. Quoiqu’il tînt le libraire logé sous son toit, Perlet, pris d’une fantaisie épistolaire, aimait mieux écrire que causer et, le 2 mai, veille de l’entrée du Roi, il infligeait à son « loyal ami » la lecture d’une longue lettre où il traçait un tableau d’ensemble des signalés services rendus par lui au souverain que Paris allait fêter. Cette lettre se terminait par cette pathétique et déclamatoire obsécration : — « Seigneur Dieu qui lisez au fond des cœurs, vous qui connaissez le mien, j’atteste devant vous que j’ai toujours été fidèle à mon Roi légitime... Punissez-moi, Seigneur, si je ne dis pas la vérité ! » Tout autre que Fauche eût jugé que c’étaient là de bien grands mots, fort inutiles ; mais il était si sûr de son homme qu’il ne s’étonnait de rien ; même, quand le Roi fut aux Tuileries, il n’hésita pas à présenter Perlet au duc d’Havré, capitaine des gardes, et au comte de Blacas, grand maître de la