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facilita les épanchements des deux amis ; ils avaient tant de choses à se dire ! Perlet put enfin soulager son cœur et dévoiler les raisons qui l’avaient forcé à interrompre, depuis huit mois, sa correspondance. Il conta donc comment la police impériale, instruite par quelque traître, de ses hautes compromissions royalistes, lui tendit un piège auquel il fut pris : arrêté, emprisonné, interrogé par les plus rusés tortionnaires du ministre, il eut la force de ne rien divulguer des secrets du parti et de rester sourd aux menaces comme aux tentatives de corruption. Il savait que l’usurpateur voulait sa tête : il se préparait à mourir pour la plus belle des causes, quand, du fond de son cachot, il apprit la victoire des Alliés et la chute de Bonaparte. Les prisonniers politiques, écroués comme lui à Sainte-Pélagie, s’ameutèrent à son instigation, réclamant leur liberté. Le premier, bien entendu, il arbora la cocarde blanche. Toute la prison retentit de ses cris : Vive le Roi ! A bas le Tyran ! Il dut sa libération au czar Alexandre, auquel les détenus adressèrent une supplique et qui, maître de Paris, ordonna aussitôt l’élargissement de ces bons royalistes persécutés. Et depuis lors, Perlet, dans la joie de son rêve réalisé, ne cessait de parcourir les rues, prêchant la haine du Corse, acclamant les soldats étrangers, répandant la proclamation de Louis XVIII, propageant l’amour des Bourbons et s’efforçant, par tous les moyens, de se rendre utile à son Roi.

Fauche, pénétré d’attendrissement, écouta cette belle histoire. Il vénérait cet homme antique qui, à la barbe de la police impériale, était parvenu à grouper les partisans de la Royauté, à les former en Comité secret et qui, victime de son zèle, avait héroïquement bravé le despote jusque dans les fers. Pas un instant, le naïf Fauche ne soupçonna que son compère maquillait outrageusement son anecdote : il ignorait encore que, dans les grands revirements politiques, plus un homme a montré de servilité au régime déchu, plus il met d’éclat dans son reniement. Il y eut, de telles bassesses, nombre d’exemples marquants, hélas ! Mais la plus caractéristique, la plus audacieuse de ces volte-face fut celle d’un personnage dont la diabolique figure est apparue au début de ces pages, — le comte de Montgaillard. Depuis vingt ans cet homme a vendu tous ceux qui l’ont payé : il a trahi le prince de Condé, perdu Pichegru, trompé d’Antraigues, dénoncé Fauche, espionné pour les royalistes, mouchardé pour le Directoire ;