Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ait pas fait. C’est là, selon moi, une vue bien peu historique et bien peu philosophique tout ensemble. La contingence des grands faits de l’histoire est fort limitée. Si la Réforme n’a pas triomphé chez nous, c’est qu’il y avait entre la Réforme et le tempérament français incompatibilité foncière. A-t-on suffisamment observé que Calvin était un génie infiniment plus catholique que Luther, et que son œuvre a surtout consisté à réédifier, à son propre profit, un catholicisme plus rigide, moins hospitalier, moins susceptible d’évolution et d’adaptation que l’ancien ? C’est par là d’ailleurs qu’il a séduit nombre de ses coreligionnaires. Mais si l’ensemble du pays a combattu, et finalement repoussé, ce sombre individualisme religieux, c’est qu’épris d’action, et d’action collective, le Français n’a pas pu admettre une doctrine qui lui refusait l’espoir de faire son salut en agissant pour autrui. Le Français se demandera toujours si « la foi qui n’agit pas » est « une foi sincère. » Ses goûts esthétiques, sa sociabilité, son instinctive modération s’opposaient également aux tendances contraires de la Réforme, et il consentit à la tolérer, mais non à s’y asservir. Le cas d’Henri IV, l’un des plus Français de nos rois, est, à cet égard, infiniment curieux. Sur sa conversion, — qui fut plus sincère, réfléchie et sérieuse qu’on ne l’a parfois prétendu, — nous n’avons pas tous les détails intimes et précis que nous voudrions posséder. Mais nous en savons assez pour entrevoir non seulement « les puissantes et subtiles raisons théologiques dont il était rebattu par M. du Perron, » mais encore et surtout les profondes raisons psychologiques et morales qui, peu à peu, l’ont détaché du protestantisme et conduit au catholicisme. Le tempérament national a réagi en lui au contact d’un catholicisme plus exactement connu, et il s’est découvert avec la vieille religion traditionnelle des « affinités électives » qu’il ne soupçonnait pas. Voilà tout le mystère de sa conversion, et elle a une valeur représentative qu’on ne saurait s’exagérer.

Deux siècles se passent, et voilà que le catholicisme, rendu solidaire des fautes et des abus de l’ancien régime, semble de nouveau devoir être emporté dans l’effroyable tourmente d’où va sortir une France nouvelle. Cette fois, il a contre lui non seulement les appétits, et les idées ou les préjugés à la mode, mais la force, en apparence toute-puissante, du pouvoir civil. Toutes ces passions coalisées ne peuvent prévaloir contre la