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les vivants à se faire auprès de Dieu les avocats de ceux qu’ils pleuraient. Essais timides encore : dogmatique et prière se contredisaient. La Grande Guerre éclata, mêla les Tommies d’Angleterre aux « poilus » de France ; ces Tommies et leurs aumôniers anglicans entrevirent des pompes rituelles qu’ils sentaient consolantes. Ces aumôniers étaient portés, par tout l’élan de leurs cœurs, à assister les soldats mourants, comme le faisaient auprès d’eux les 455 aumôniers catholiques romains introduits dans l’armée anglaise par la pénétrante influence du cardinal Bourne, et comme le faisaient les prêtres français ; ils commençaient de porter envie à ceux de leurs confrères de l’anglicanisme qui avaient su passer outre aux vieilles objections théologiques et pacifier la tristesse des survivants en intercédant tout haut pour les morts.

L’holocauste humain se prolongeait, se multipliait : les raisons du cœur, dont la théologie avait longtemps fait bon marché, devenaient de plus en plus impérieuses. On constatait, en 1917, qu’au service anglican célébré pour les journalistes de Londres morts au champ d’honneur, la prière de l’officiant demandait à Dieu qu’il leur accordât « un lieu de rafraîchissement et de paix, » et lorsque le mois d’août 1917 eut ramené le troisième anniversaire de l’entrée en guerre, les archevêques de l’anglicanisme, plus déférents désormais envers les vœux douloureux du peuple fidèle qu’envers les chartes primordiales du leur Eglise, introduisaient, dans les rites de l’office, une supplication pour les soldats rappelés à Dieu. « Nous bénissons votre saint nom, disait à Dieu cette formule, pour nos frères qui ont donné leur vie pour leur pays, et nous vous supplions de nous accorder qu’à la fin nous obtenions avec eux la joie éternelle. Accordez que ceux qui sont tombés soient jugés dignes de trouver une place parmi vos fidèles serviteurs dans le royaume du ciel, pardonnez leurs péchés et les nôtres, et faites que nous connaissions toujours davantage votre volonté. » Les nuances mêmes dont s’estompait cette prière ménageaient la théologie traditionnelle de l’anglicanisme ; et cependant les archevêques, redoutant certaines susceptibilités tenaces, laissaient libres les évêques d’adopter ou d’ajourner l’innovation, chacun dans son diocèse. On ne voulait pas que la paix des morts donnât lieu à des discussions épineuses, qui troubleraient la paix des vivants.