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des sortes de lacunes, interrompant le cercle de la mer, son plan même, comme si le monde, par endroits, retournait au néant. Ailleurs, cela traînait, flottait en colonnes obliques de fumée, qui semblaient aussi bien monter de l’Océan que descendre du ciel. C’était, de ce côté, comme au second jour de la Genèse, quand la séparation du firmament et des eaux « qui sont par dessous » n’était pas encore achevée.

— Toujours la sale boucaille, — dit plus sommairement le séminariste qui, décidément, était du pays.

Peu à peu, toute la côte du Cap achevait de se développer, son interminable faîte allongé par-dessus une succession de crochets, de grandes saillies transversales, qui finissaient là-bas en silhouettes de brume. De creux en creux, de ressaut en ressaut, l’immense échine allait se rétrécissant ; c’était bien comme une suite de jointures, chaque vertèbre plus mince, décharnée que la précédente. Au commencement, on voyait encore s’espacer dans l’Est de sombres buissons d’arbres, des clochers, — Esquibien, Prémelin, Saint-Thugen, — oh ! bien perdus, solitaires, sans relief, si vagues, sur les plans monochromes, mais rattachant encore cette terre à l’ordinaire campagne bretonne. Après l’anse du Loch, la côte se levait tout droit, d’un mouvement âpre, tranchant le ciel, là-haut, d’une longue ligne que, seule, une petite chapelle interrompt : Notre-Dame du Bon-Voyage, qui dit aux marins l’adieu de la terre habitée. A la jumelle, on voyait un semis pâle : des moutons qui semblaient brouter des cailloux. Partout le roc perçait, — arêtes, saillies, falaises, — de plus en plus rongé, creusé de noires cavernes, béant par en bas, où les explosions du ressac, bondissantes blancheurs sur des serpents d’écume, achevaient de le miner. Cette maigre presqu’île du Cap, si battue de ce côté par les tempêtes de Suroit, prenait de plus en plus son aspect de lame, de lame édentée, sous le choc millénaire des éléments. C’était comme la cime d’une grande alpe couchée dans l’Océan, dont le regard suit les étages successifs, depuis la base habitée par les hommes, jusqu’aux flancs d’herbe rase, jusqu’aux éboulis et lapias, jusqu’à la région où le roc antique est seul dans l’abîme avec les vents qui le rongent.

Un promontoire s’est démasqué derrière celui qui semblait le dernier, et la grande silhouette familière, enfin, est apparue ; la Pointe, l’abrupt éperon aux formidables ébréchures, fumeux