Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ailes ouvertes, si pâles, étranges, dans la poussière d’embruns, obliquement emportés avec les flocons.

Le sloop est reparti, moins « souqué, » plus prompt à se relever, soulagé des paquets d’eau qui, tout à l’heure, commençaient d’assommer l’avant.

Toujours la même allure fatigante, les bords seulement plus courts, chacun achevé sur le Pare à virer ! breton du père Salaün, un cri prolongé, un peu lugubre, comme ces commandements de marine qui semblent faits pour passer dans les porte-voix. Alors il mettait la barre dessous ; on venait au vent, la misaine relinguait, changeait, le bateau prenait son autre gîte, et l’on courait diagonalement aux houles.

Chacune arrivait en montant sur le ciel, massive, hérissée, grosse d’un peuple de vagues secondaires, animée de la puissance qui vient de toute l’étendue en mouvement. Elle vous prenait avec le grand coup d’épaule qui enlève un bateau comme un fétu, et semble le tordre en l’attaquant de biais. On voyait approcher le sombre et blanchoyant tumulte de la crête. Cela menaçait, culminait. Et puis, rien, — rien qu’un flagellement violent à la figure, avec un peu plus de sel dans la bouche. La monstrueuse, inévitable force se dérobait, passait par en dessous comme une chose de rêve. Mais, à mesure que l’on glissait dans le creux fuyant, parmi des stries et tournoiements d’écume, de l’autre côté cela renaissait, grandissait, un peu comme un reptile en train de se développer : un vaste dos glauque, et qui s’enfuit après tous les autres, obliquement tendu comme par une volonté avide.

Là-haut, le ciel se déroulait vite : rideaux obscurs, sombre charpie pendante, çà et là moins épaisse et demi-trouée de clartés blanchâtres, en mouvement comme toute cette vapeur, — ou bien soudain percée d’un blême rayon dont le pied posait sur le chaos en lueur d’acier, éclairant sinistrement de lointaines levées de des gris et de baves. Tout au Sud, plusieurs rayons filtrèrent en divergeant, et alors, par longues lignes, des clartés d’épée s’étendirent...

Pendant quelque temps, à chaque montée de houle, je les retrouvai sur les champs noirs, et puis, derrière le faux horizon que tend un voile de pluie, tout s’est fondu par là en un plan spectral, mystérieusement reculé dans un autre monde...

Dans l’Ouest, des bouchons de brume et de crachin mettaient