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des bons. Pourquoi faire ? j’aime pas les changements. » Il commandait le bateau de la « concurrence » (concurrence à celui de la poste) — un sloop-vivier, transportant des humains et des langoustes.

Un grand vieillard à brève barbe, encore grise, aux yeux de simplicité bleue, de mine grave, calme, un peu autoritaire : une mine presque anglaise, comme on en rencontre assez souvent, avec cet accent chanté qui rappelle aussi les gens d’outre-Manche, en certaines parties de notre petite Bretagne, — peut-être parce que le fond ethnique a. moins changé qu’on ne le croit dans la grande île, depuis que nos Bretons en sont sortis.

Ce matin d’octobre, baromètre encore en baisse ; petite brise du Sud. Mais il y a de grands rouleaux dehors, après le mauvais temps qu’il a fait. Ciel gris, en mouvement, la mer couleur de plomb ; les lointains de Penmarc’h trop visibles de la digue.

A sept heures et demie, le vieux refusait de dire à quelle heure, au juste, il partirait, et même s’il partirait. Tout de même, ça ferait douze jours de suite que le courrier manque pour Sein. A huit heures, les vents ont halé l’Ouest : contraires maintenant jusqu’à la grande Pointe. On est en morte eau ; pourtant, s’ils remontaient encore, avec le courant de flot qui porte au Nord, la mer, dans le Raz, lèverait comme elle peut lever par là, en « pains de sucre » qui font peur même aux grands bateaux.

Mais les vents ont l’air de rester là. A huit heures et demie, on hisse à moitié la toile, mais le patron n’a fait larguer l’amarre qu’à neuf heures.

Sept passagers, dont deux pêcheurs de l’Ile, et deux vieux marchands de pommes, en cache-nez, qui ont dû s’arrêter à tous les débits du quai, avant d’arriver au Vieux Môle, à en juger à l’ardeur de leur faconde et de leurs rires. A l’arrière, le séminariste et l’Ilienne s’isolaient, celle-ci debout, regardant du côté de la mer avec un air de tristesse chronique. On installait le foc, et le sloop commençait d’abattre, quand elle s’est signée en levant les yeux sur Poulgoazec, l’oratoire qui surveille l’entrée du port du côté de Plouhinec, au-dessus des ajoncs et des roches. Et puis, descendant par la brève échelle dans la pauvre cabine à l’arrière, elle est allée s’agenouiller devant la petite Vierge de faïence. La porte ouverte, au crochet, je voyais sa tête baissée sous les lourdes ailes de sa capuche.