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cette ample et souple ligne qui monte par ondes grandissantes, c’est comme son dernier élan vers le ciel, une suprême aspiration avant de tomber dans l’Océan.

Une région qui, déjà, n’est plus tout à fait terrestre. On le voit dès qu’on s’élève sur la montagne de Loc-Ronan, — mieux encore, si l’on gagne, par Saint-Nic et Sainte-Marie, le pied du Menez Hom. De ces hauteurs, le pays apparaît tout évidé par en bas, un simple anneau, plus ou moins ouvert suivant le point de vue, une grande zone enveloppant les néants gris ou bleus, et qui ne s’achève pas, s’étire, à d’inappréciables distances, en deux lignes brumeuses, — celle du Sud finissant, devant le Raz de Sein, en imperceptible fumée. Comme on respire devant cet aérien paysage ! Comme ces grands vides clairs le spiritualisent ! On pense aux trouées de jour dont s’allège la pierre d’un clocher breton. Et plus on avance vers le grand Menez, plus la terre se dépouille et s’éclaircit. Au-dessus de Sainte-Marie, rien ne reste sur les longues pentes qu’une herbe très fine, mêlée des roses liserons, de senteur si pénétrante, que l’on trouve au bord de la mer, et, surtout, par immenses nappes, cet ajonc bas dont l’or refleurit en septembre, et qui, pâli par la distance, éclaire la montagne d’une teinte légère d’abricot.

Sauvage pureté de ces dernières pentes... On monte, de plus en plus enveloppé de ciel, affranchi de tout, et peu à peu, par en bas, se révèle, s’allonge l’isthme étroit entre les deux golfes, qui s’en va pousser trois branches de pierre, — le Trident des Toulinguets, — dans l’Atlantique. De là-haut, dans le Nord, on devine un semis pâle : Brest, blême, confuse, émouvante, par delà des traînées de luisants presque éteints, mystérieux, qui sont les reflets lointains de la rade. En ces lieux, l’ajonc même cesse ; il n’y a plus que l’herbe brûlée, le jaune paillasson que l’on trouve sur les derniers promontoires et dans les îles. C’est que les courants aériens de l’Atlantique viennent frapper tout droit sur ces rampes : souvent, des courants furieux dont rien encore n’a brisé l’élan. En hiver, sur ces hautes landes, quels sabbats de tempête ! Macbeth chercherait là ses sorcières.

Mais par les calmes jours où je reviens, sous un ciel de perle ou de mol azur, ce n’est pas de l’infernal, c’est du divin plutôt, que participe cette région. Oui, on se sent plus près de l’infini, en cette extrémité de la presqu’île toute pénétrée de ciel et de mer, — plus près de Dieu, sur ces clairs sommets