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Mais il sait comment il arrivera à mieux comprendre ; il suffit pour cela d’être sur place ; il part donc en tournée.

En route pour Fort-Flatters. Dès qu’il est entré en contact avec les troupes, il s’aperçoit que ses premières impressions ne l’ont pas trompé : la cohésion n’existe plus entre goumiers et sahariens qu’on a déplorablement mélangés ; bien pis, l’inimitié sévit. Qu’est-ce d’ailleurs que ces goums ? Le rebut des tribus. Que sont devenus les vrais méharistes, « les gens de poudre ? » Ils se sont fait remplacer par leur berger ou par de tout jeunes gens montés sur leur plus mauvais animal. Quant aux cadres français, il les trouve, comme on le lui avait annoncé, démoralisés, doutant d’eux-mêmes ; ils constatent que leurs mehara sont exténués, qu’ils meurent de faim ; mais ils n’osent pas hasarder le combat qui leur procurerait un pâturage réconfortant ; un officier se risque à lui déclarer qu’il a préféré voir crever ses animaux plutôt que de se laisser déshonorer en les exposant à être enlevés par l’ennemi.

Le général s’empresse d’aviser à tout. Il a crié qu’il n’abandonnerait pas Fort-Flatters ; il le met en défense ; il y concentre une forte garnison, où l’on se sentira les coudes, où l’on vivra comme si l’essaim des mouches ennemies ne bourdonnait pas incessamment en tournoyant autour du bordj, où l’on vivra comme en temps de paix, « une partie des hommes cultivant les jardins, lavant les effets, se nettoyant et prenant l’air. » Ne sommes-nous donc enveloppés que d’ennemis ? Il reste des tribus fidèles : les mehara se rendront dans les zones de bons pâturages dont nos amis garantissent la sécurité. Enfin, il faut en revenir à l’organisation primitive des compagnies sahariennes et licencier les goums permanents. Le général a peur de déplaire à ses supérieurs en prenant une mesure trop radicale. Mais il sait que le ministre de la Guerre s’en remettra à lui du soin de réadapter les unités qu’il a créées ; autorisé, en effet, par le ministre, il remet sur pied ses compagnies de Touggourt, d’Ouargla et du Tidikelt, il les encadre de gradés des régiments d’Algérie ; il a de nouveau son instrument en main.

Il n’hésite plus. Puisque le ministre le soutient, il peut se risquer. Un peloton de spahis doit rentrer à Biskra pour assurer la police du Touat, maintenant en ébullition. Le général « prend sur lui » d’emmener le peloton vers In-Salah. Il connaît d’avance les effets de cette randonnée. « Les conversations