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l’autre nous vous demandons que vous l’acceptiez dans votre familiarité, pour qu’il ait son apaisement, en même temps qu’il sera l’un de vos fidèles.

Et quand le baron eut entendu cette requête, comme un sage prince, il s’éloigna de quelques pas et appela plusieurs seigneurs de bon conseil qui sortaient, eux aussi, de la messe. Leur entretien fut court, et revenant à sire Guillaume, il lui dit publiquement :

— Messire Guillaume, pour l’honneur et l’amour du saint prélat qui vous accompagne, et en considération des services que votre connaissance des langues sarrasines nous réserve, nous vous accordons votre requête, en priant Dieu que votre charme vous soit allégé, et nous vous demandons de venir dès aujourd’hui souper avec nous. Ainsi donnerez-vous plaisir à nos dames qui savent surtout le langage sarrasinois.

De cette gracieuse réponse l’évêque et Guillaume remercièrent le baron, et Guillaume toucha la main de tous ces chevaliers, parmi lesquels plusieurs connaissaient ses amis et sa parenté. Puis l’évêque le conduisit au logement que d’accord avec la musulmane il lui avait préparé, où l’attendaient les vêtements qui convenaient à son rang retrouvé.

XVI

Le soir, à l’heure du souper, sire Guillaume se rendit à la forteresse et fut introduit dans la grande salle du jet d’eau, celle-là même où les femmes du sérail étaient venues l’écouter, jadis, quand il y mangeait en tête à tête avec l’Émir et qu’il lui contait, d’un si naïf enthousiasme, les amours de Tristan et d’Iseult. Journée charmante, sans amertume, souvenir antérieur au temps qui lui a fané le cœur ! Quand il eut salué le comte, il alla s’incliner devant Oriante et toutes les dames sarrasines, qui lui firent leurs révérences cérémonieuses, en cachant l’émotion qu’elles avaient de son retour. Elles ne marquèrent pas qu’elles le connussent, car plus que jamais elles obéissaient à Oriante, dont l’intelligence avait assuré leur salut, et se groupaient autour d’elle plus étroitement que ne fait une compagnie de perdrix épouvantées par les chasseurs.

Le repas servi à la mode franque fut présidé par le comte et par Oriante, qui avait à sa droite l’évêque. Toutes les jeunes