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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

— Tout devient clair, aisé, quand je t’ai près de moi ; tout mon chagrin s’embrume des subtiles particules qui se lèvent de nos amours réunies, mais quelle effroyable limpidité sèche peu après ton départ ! Donne-moi donc une nouvelle âme, Messagère des étoiles ; la mienne est inguérissable de sa méfiance et surtout du souvenir de ton excellence. Fais que j’oublie ce que je ne reçois plus. Je ne mentirai pas : toi présente, je cesse de souffrir ; ta chevelure de lumière, tes yeux éblouissants, ta voix charmante me ressaisissent, m’empêchent de me soustraire à ton influence despotique et de creuser librement tes fautes. Ah ! que tu me gênes ! Sitôt qu’un souffle ride la surface tranquille et passe sur mes traits, dans mes yeux, sitôt que mon âme se détourne fugitivement, tu le sais ; tu lis ce qui se passe au dedans de moi, tu pressens ce que je vais penser et tu m’empêches que je ne veuille le dire. Comme on tirerait sur le licol d’un animal domestique, tu tires sur mon amour et me remets dans le sentier d’où je voulais m’échapper. Pendant deux heures, tu m’obliges à être heureux, frivole, oublieux. Mais à peine es-tu partie, je reprends mon vagabondage de tristesse. Nul de mes griefs n’est mort, ils se redressent sitôt que j’échappe au feu de ton regard et à l’harmonie de ta voix. Sûrement quelque part, dans cette vie d’où je suis banni, de quelle manière, je l’ignore, avec quel sentiment, je m’épuise à le rechercher, tu me renies tout en me gardant. « Non, » dis-tu. Ah ! tout mon cœur sait que tu es chargée d’intérêts et de soins que je ne connais pas et qui te protègent, te prémunissent contre l’obsession dont je meurs. Entre nous le jeu n’est pas égal. Que puis-je espérer de sûr et d’éternel ? Pourtant je ne veux rien d’autre. Il fallait me rejoindre sur la route de Damas ?

— Laisse la question de savoir comment nous devions agir dans la tempête, maintenant que le bleu a réapparu dans le ciel.

— Le bleu est sur Damas, sur Tripoli, sur l’Europe, sur le désert, sur toute l’Asie, mais non ici. Dans tes bras, où que ce soit, je trouverai le bonheur, je trouverai l’univers. Mais toi, tu préfères nos souffrances et ta chaîne à la liberté d’être tout l’un pour l’autre.

Elle se taisait. Et la sage Isabelle :

— Tous vos grands projets ne doivent pas empêcher celui pour lequel vous vouliez d’abord vous rejoindre, et je ne vois