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malgré quelques signes doux au lieu de signes rudes, etc., vous pouvez être fier du succès de votre premier thème russe ; la première lettre que j’adressai ici après six mois de leçons n’est jamais parvenue ; ce n’est donc pas si simple de faire agréer aux postes impériales les orthographes individuelles... Dites à votre père que je viens de lire intégralement Trop Jolie dans le feuilleton du Journal de Saint-Pétersbourg , Gazette de l’Empire. Je doute, par exemple, que ces reproductions lointaines lui rapportent jamais autre chose qu’un surcroit de célébrité. Annoncez-lui en outre que je vais m’introduire audacieusement dans la redoutable famille des critiques. Il est vrai que je m’exercerai d’abord la main in anima extranea ; je m’attelle à un travail sur Pouchkine et son temps, qui me permettra de retracer l’histoire de ce mouvement romantique russe, né parallèlement au nôtre de 1820 à 1830. Cela pourra bien devenir un volume pour de bon après les portions de saumon. Vous me direz, peut-être, que le besoin ne s’en faisait pas impérieusement sentir sur le boulevard des Italiens. Cependant les burgraves de notre littérature que j’ai vus à Paris m’y ont encouragé, en m’avouant qu’ils ne connaissaient du grand poète que le nom. Voyons, vous qui savez tout, vous seriez bien embarrassé de dire ce qu’il a écrit en dehors des petites nouvelles traduites par Mérimée. A ce propos, comme vous n’avez rien à faire, vous pourriez me rendre un petit service de collaboration. Vous devez avoir aux Angles la table de la Revue. Colligez-moi donc ce qui a pu être écrit par Mérimée, ou traduit par lui de l’œuvre de Pouchkine, avec indication des numéros et dates. Je sais qu’il y a eu un article de critique d’ensemble, je l’ai eu sous les yeux, mais j’ai oublié l’année. Je ne crois pas qu’un autre ait touché à mon sujet depuis trente ans. Avant, il y avait eu deux méchants articles de M. de Saint-Julien en 37 et 47.

Telles sont mes occupations et préoccupations actuelles, panachées des exercices d’un campagnard russe. Cela vaut mieux, n’est-ce pas, que de penser à — et de parler de — ce qui se fait chez nous. Ça a l’air d’histoires du bon vieux temps, ces scènes d’expulsion où le ridicule le dispute à l’odieux. A Paris, ce n’aura été, comme toutes choses, qu’un spectacle de haut goût pour les flâneurs : mais j’imagine que, dans les petits coins de province, le coup portera, et droit contre la République. Ce sera très difficile à faire comprendre, par exemple aux gens de la