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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

GUILLAUME.

Dois-je vous croire, toutes les deux, aujourd’hui ! Jadis, pas une fois je n’ai mis en doute sa parole. Je n’avais aucune idée qu’elle pût me mentir, puisque je ne demandais qu’à lui obéir et que, si elle m’avait prié de mourir volontairement au lendemain de quelqu’un de nos plaisirs, je l’aurais fait en me sachant encore son débiteur. Ce qui s’est passé depuis lors est trouble. C’est possible que je comprenne mal, car moi, je suis seul pour raisonner, tandis que vous étiez deux pour délibérer de moi, si toutefois vous en avez pris la peine. Je n’ai pas de confident pour m’aider à voir clair. Et cependant si j’ai souffert, ce n’est pas sans raison.

ISABELLE.

Enfin, tu lui reproches d’être vivante, pleine de jeunesse et d’amour. Préférerais-tu qu’elle fût morte ?

GUILLAUME.

Soit, je ne reproche rien au passé. Il faut demander la mort ou bien accepter la vie. Je veux ramasser les morceaux de mon bonheur. Es-tu venue pour me laisser sans espérance. La meilleure part de mon être refuse de croire que deux beautés que j’aime puissent mentir, et je veux suivre, les yeux fermés, cette confiance, fùt-elle une illusion. Que dois-je attendre exactement ?

ISABELLE.

Écoute-moi donc, maintenant que tu parais maître de ta raison. Et d’abord, ne reste plus à rôder, tu nous perdrais tous. Nous avons près d’ici, sur l’Oronte, un musulman qui est notre obligé. Il te prendra à son service et te logera, et nous saurons t’y visiter.

GUILLAUME.

Elle, avec toi ! Venez toutes les deux. Tu me permets de te dire que tu ne me suffis pas, mais c’est également vrai qu’elle seule me ferait trop de mal.

ISABELLE.

Nous deux, et c’est elle qui te dira et te prouvera son amour. Elle viendra te voir et glisser à ton doigt l’anneau du plaisir.