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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

et Guillaume en regardant le ciel s’étonne d’être insensible et même hostile à ces splendeurs, tandis que le feu d’un regard et l’éclair d’un sourire, qu’il ne voit qu’en idée, le déchirent.

Assailli tout le jour par des élans alternés de douleur et de gratitude, il surmonte le découragement à force de désir. Toutes ses pensées, autant de barques qui sillonnent la mer profonde et dont les voiles paraissent ou disparaissent sur l’horizon ; un souffle du ciel les balaye, et seule subsiste une mer de douleur éternellement mouvementée par l’espérance. À travers les sables, il navigue, et, maudissant chaque heure de retard, il court à l’assaut du mystère.

X

Quand la caravane approcha de Qalaat, elle apprit que tous y pénétreraient sans difficulté, car (le Sultan était bien renseigné) les chrétiens désireux de rétablir une prospérité qu’ils avaient ruinée, appelaient de toutes parts des travailleurs musulmans. Et pour le risque d’être reconnu, Guillaume était à peu près certain que personne, les anciens habitants n’eussent-ils pas été dispersés dans la tourmente, ne songerait au brillant favori de l’Émir devant le malheureux que faisaient de lui sa prison et ses chagrins. Une seule difficulté subsistait, mais grave, celle-là : comment approcher de la Sarrasine et comment l’enlever ?

Merveille de bon augure, à l’heure où Guillaume entre dans la ville toute transformée, des cloches chrétiennes, qu’il n’y a jamais connues, commencent à sonner comme pour bénir les images touchantes et les espérances qui se pressent en foule à son esprit. Tout un peuple nouveau de Francs et d’Arabes, en habits de fête, circule dans les rues, et Guillaume ayant interrogé un de leurs groupes apprend que dans deux heures va se dérouler une procession d’actions de grâces, pour la victoire, en l’honneur de la Vierge Marie. Les chevaliers la suivront avec les princesses converties. Pour l’instant, dames et chevaliers banquètent dans la forteresse.

Guillaume n’en demande pas plus et continue sa promenade. Il s’engage dans les jardins de l’Émir, maintenant livrés au public par des vainqueurs dédaigneux des anciens raffinements qu’ils ont pourtant à demi rétablis. Il passe devant les