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leur sécurité par une frontière raisonnable. La ligne Enos-Midia aurait répondu et répondrait encore à la situation. La Thrace orientale, qui renferme les populations turques les plus nombreuses, ne doit pas être séparée de Constantinople. Les Anglais préféreraient, assure-t-on, la ligne Midia-Rodosto [1] qui ferait des Grecs les riverains de la mer de Marmara et leur laisserait la rive nord du détroit des Dardanelles. Outre qu’il serait très difficile de faire accepter aux Turcs cette solution, il parait désirable, dans l’intérêt de toutes les Puissances qui ont des flottes de commerce, que les Dardanelles restent aux mains des Turcs, qui ne sont pas une puissance navale ; la liberté des Détroits sera ainsi plus aisément assurée par l’interdiction d’en fortifier les rives, et par la présence, dans la Péninsule de Gallipoli, d’une garnison européenne assez forte pour en assurer, dans tous les cas, la neutralité. Pareille précaution paraît moins nécessaire dans le Bosphore, où elle serait aussi plus gênante pour la souveraineté turque, car à qui possède la clef de la Marmara Constantinople est ouvert. Le régime des Détroits doit être international, comme le prévoit le Traité de Sèvres ; mais il sera juste de réserver une place dans la commission, non seulement aux grandes Puissances maritimes, mais à tous les États indépendants riverains de la Mer-Noire, la Roumanie, la Bulgarie, la Géorgie, sans oublier que doivent être considérés comme riverains de la Mer-Noire tous les pays auxquels le Danube sert de débouché maritime : Yougoslavie, Hongrie, Tchéco-Slovaquie, Autriche.

Quant à la Thrace occidentale, elle n’a jamais traversé, dans son existence tourmentée, de période plus heureuse que celle où, après l’armistice, le général Charpy l’administrait au nom du Conseil suprême ; justice égale pour tous, paix profonde, sécurité, prospérité, probité : jamais Turcs, Grecs, Bulgares qui habitent la contrée n’avaient connu un tel âge d’or. Ce régime regretté de tous, même des Grecs indigènes, pourquoi ne pas le rendre à la Thrace occidentale, en y instaurant, pour quinze ans, sous l’autorité de la Société des Nations, un Gouvernement de même type que celui de la Sarre ? Établir la domination grecque sur tout le littoral de la mer Egée sur une mince bande côtière militairement impossible à défendre, c’est jeter sûrement, pour un proche avenir, des semences de guerre. Bulgares et Serbes tendront toujours à atteindre, par la voie la plus directe, la Méditerranée. Le Traité de Neuilly, que les Bulgares ont

  1. Enos, sur la mer Egée, à l’embouchure de la Maritza ; Midia, sur la Mer-Noire, à 35 kilomètres de la frontière bulgare : Rodosto sur la Marmara.