tentative restée heureusement inoffensive qui nous préoccupe tous ici. On causera beaucoup en France de ces quelques mètres de remblai minés ; on ne s’avouera pas que chez nous, c’est tout le sol qui est miné. J’apprends à l’instant les dernières convulsions du ministère en face du programme conventionnel [1] : vous me permettrez de m’en occuper un peu cette fois, car il s’agit pour moi de savoir si, d’ici à quelques semaines, je serai épuré, on si je ne m’épurerai pas moi-même, de guerre lasse. Cela ne peut tarder beaucoup, et j’ai parfois de vives jouissances à l’idée de pouvoir enfin piquer librement ma plume dans ce bon fouillis de nigauds.
Adieu et bien à vous.
Saint-Pétersbourg.
Mon cher ami,
Etant donné que dans vos provinces, toutes gauches sous la neige, le taureau de fer va moins vite actuellement que nos traîneaux de bergers, la présente arrivera sans doute juste à temps pour vous souhaiter les bonnes fêtes. Mais que souhaiter ? N’est-ce pas l’image de notre pauvre pays, ce ministère, cercle vicieux qui tourne sur lui-même, dont la circonférence est partout et le centre nulle part, soit dit sans comparaison avec le Dieu de Pascal ; ce ministère qui donne la représentation du jour de l’an comme les clowns du cirque, en ressortant de derrière le portant avec de la farine et des toupets nouveaux pour recevoir les mêmes coups de pieds et les mêmes nasardes. Oui, sans doute, j’ai admiré l’article Rémusat, mais surtout je m’approprie la conclusion si vraie : « Rapetisser — finissent. » Car s’il y a une histoire pour enseigner les hommes, s’il y a quelque chose à apprendre d’Athènes, de Rome, de Byzance, de Madrid, c’est que nous finissons. Il reste de nous une belle mousse de vin de Champagne qui pétillera encore longtemps à la surface du monde, mais ce seront les barbares qui boiront le vin de Grèce dans les coupes de Corinthe. Moi aussi, les Mémoires m’ont irrité encore plus qu’amusé. En 1820, en 1830, j’eusse compris cette publication : le monstre était encore chaud, presque menaçant ; il était de l’intérêt public de rapetisser cette ombre scandaleuse.
- ↑ Il s’agit du ministère formé le 4 février 1879 par Waddington, et qui fut remplacé le 28 décembre 1879 par le ministère Freycinet.