Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la dernière œuvre de Rostand, si d’ailleurs un certain Voltaire ne s’en était déjà servi pour y mener les rois faire le carnaval. A vrai dire, le nouveau Don Juan est la réplique au Don Juan des romantiques. Du libertin que leur livraient la légende et le théâtre, lord Byron et Musset avaient fait un personnage mystique, un sombre héros, un pâle chercheur d’idéal. Rostand a résolu d’en finir avec ces billevesées : il va dissiper ces brouillards à la lueur de son clair génie.

Vient à passer le montreur de marionnettes. Burattini ! c’est un des vieux cris de Venise. Edmond Rostand a toujours eu la passion des marionnettes. Elles furent l’un des plus chers divertissements de son enfance. A Marseille, en face de la maison où habitaient ses parents, se trouvait un marchand de jouets qui étalait à sa devanture d’irrésistibles pelites poupées de bois. C’est là que passait toute la bourse de l’écolier. Rentré chez lui, il s’enfermait avec sa dernière acquisition, et tour à tour costumier, acteur et montreur, lui taillait un habit et un rôle. Burattini ! C’est à ses petits compagnons d’autrefois que le poète confie le soin de porter les premiers coups à l’idole. Ce Don Juan, dont les femmes ne prononcent le nom qu’avec émoi et les hommes avec crainte, Pulcinella l’interpelle sur un ton de familiarité ; il le salue du nom de confrère. « En quoi confrère ? — En paillardise. » Dépouillé de tout ce que la littérature a mis autour, qu’est-ce que le donjuanisme, si ce n’est la poussée de l’instinct et l’exigence du tempérament ? Une proche parenté unit le cynique pantin qui fait rire les enfants et le beau cavalier qui fait pleurer les femmes. L’un et l’autre, ils ne connaissent que leur caprice ; ils ont pour règle de « vivre leur vie » . L’un a son bâton, l’autre a son épée. Celui-là rosse le commissaire et celui-ci tue le commandeur. Polichinelle s’imagine peut-être qu’il gesticule et nasille à sa volonté ; mais c’est un autre qui tient les ficelles et parle par son nez. Don Juan se vante d’être un conquérant : il n’est que la marionnette, que mille et trois désirs se sont repassée. A fantoche, fantoche et demi.

Dans le montreur de marionnettes nous avions deviné, et soudain Don Juan reconnaît le diable lui-même. C’est maintenant le suprême dialogue. On assure que, dans l’éclair qui précède la mort, toute notre vie peut repasser sous nos yeux. Autour de lui Don Juan voit reparaître, ramenées par des gondoles fantastiques et masquées comme pour un dernier bal, toutes celles qui furent les amantes de Don Juan. Qu’il puisse sur un seul de ces visages masqués mettre un