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qui annonce le bel héritage. Pécuchet n’aura point sa retraite avant deux ans. Les deux amis partent pour Chavignolles le dimanche 20 mars 1841. Viennent « les mauvais jours, la neige, les grands froids : » automne 1841 et l’hiver 1841-1842. « Au mois de novembre, ils brassèrent du cidre : » novembre 1842. « L’année suivante, ils firent des semailles très dru : » 1843. M. Descharmes note précisément les indications de temps que Flaubert a données ; il évalue les délais qu’il faut pour que les diverses opérations horticoles ou agricoles aboutissent à un résultat. Les expériences d’agronomie, d’arboriculture et de distillation, toutes manquées, n’ont guère duré moins de sept ans, qui mènent les deux amis à l’âge de cinquante-sept ans et nous mènent au mois de janvier 1848. Trois mois de chimie ; et Flaubert dit alors que Pécuchet a cinquante-deux ans. Flaubert ne croit donc pas avoir encore dépassé l’année 1843 : il l’a pourtant dépassée.

Après la chimie, Bouvard et Pécuchet travaillent la médecine, la géologie, l’archéologie. Quand ils abandonnent l’archéologie pour l’histoire, M. Descharmes, fort de ses calculs, nous avertit que l’année 1851 vient de finir. Et Flaubert : « Ils recoururent à M. Thiers. C’était pendant l’été de 1845, dans le jardin, sous la tonnelle. » L’écart est de plus de six ans.

Venons à la politique ; elle occupe le sixième chapitre du roman. Et Flaubert : « Dans la matinée du 25 février 1848, on apprit à Chavignolles, par un individu venant de Falaise, que Paris était couvert de barricades… » M. Descharmes nous démontre que nous sommes, au plus tôt, en 1854. M. de Faverges apprend aux amis l’expédition de Rome : c’est en 1849. La même année, M. de Faverges entre à l’Assemblée législative : en effet, les élections se firent au mois de mai 1849 ; seulement, « nous devrions être au moins en 1859-1860, » dit M. Descharmes. Dépêchons-nous : Flaubert conduit ses deux bonshommes jusqu’en 1869 ; M. Descharmes prouve que leur aventure ne peut avoir duré moins de trente-huit ans. Le roman finirait en 1877 à peu près ; et les deux amis auraient, quand ils se remettent à copier, quatre-vingt-cinq ans. Flaubert ne s’en est pas aperçu.

Dira-t-on que Bouvard et Pécuchet, roman que Flaubert n’a point achevé, ne doit pas être jugé comme un ouvrage auquel l’auteur a donné la dernière main ? Sans doute ! Et Flaubert, qui avait le goût de la perfection, l’eût corrigé, son roman, plus d’une fois avant de le faire imprimer. Sans doute ! Mais allait-il en déranger l’économie ? Je ne le crois pas. Il ne dépendait pas de lui de changer la saison des