Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’étrange roman !... Vous le comprenez mieux qu’avant d’avoir lu le gros livre de M. René Descharmes.

Par exemple, Bouvard et Pécuchet, se mettant à l’histoire, utilisent la Mnémotechnie de Dumouchel, un in-12 cartonné, qui porte cette épigraphe : Instruire en amusant. Ne cherchez pas à la bibliothèque une Mnémotechnie de Dumouchel, qui est un personnage que Flaubert a inventé. Mais, dit Flaubert, la Mnémotechnie de Dumouchel « combinait les trois systèmes d’Allévy, de Paris et de Fenaigle. » Qu’est-ce que ces gens ? Flaubert raconte qu’Allévy transformait les chiffres en figures : 1 signifie une tour ; 2, un oiseau ; 3, un chameau, etc. Le deuxième, Pâris, organisait de malins rébus : un fauteuil garni de clous à vis évoquait le nom du roi Clovis, etc. Quant à Fenaigle, eh ! bien, Fenaigle « divise l’univers en maisons, qui contiennent des chambres, ayant chacune quatre parois à neuf panneaux, chaque panneau portant un emblème. » Ce n’est pas la clarté même. Lisez donc M. Descharmes : il consacre tout un chapitre à ces trois serviteurs de Mnémosyne, pour qui la muse a manqué de gratitude, car ils sont oubliés.

Plus exactement, on connaissait Paris et Allévy ; les savants les connaissaient un peu. Mais, Fenaigle, non. Et l’on était à se demander si Flaubert n’avait pas inventé l’homme qui « divisait l’univers en maisons. » Pas du tout ! Grégoire de Feinaigle, — à qui Flaubert a ôté son premier ! par mégarde, — eut son temps de célébrité. M. Descharmes expose le système de Feinaigle, un drôle de système ! et il montre le gaillard, aussi drôle que le système.

Le gaillard était Bavarois ; et il avait chapardé le système à Johann Christof Friedrich von Arétin, conservateur de la bibliothèque de Munich. Premièrement, il partit pour Strasbourg et la Société des sciences et arts lui décerna de grands éloges. Il obtint des certificats à Nancy et se mit en voyage. On le vit à Besançon, Dôle, Epinal, Dijon. Il avait soin de ne rester longtemps nulle part ; dès qu’il avait donné de la mémoire à ses élèves, il se sauvait devant qu’ils ne l’eussent perdue. L’un de ses élèves, nommé Guivard, lui parut si heureusement doué qu’il l’adopta comme disciple et collaborateur. En 1806, tous deux arrivent à Paris. D’abord, on ne leur prête aucune attention. Tous deux mangent de la vache enragée. Mais, par chance, Feinaigle rencontre M. Blanc, professeur émérite et « créateur de l’okygraphie, méthode couronnée par le jury de l’Instruction publique. » M. Blanc s’éprit de « mnémonique. » Cet ancien professeur était alors sous-chef à la préfecture. Il parla de la science qui l’avait