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se passent de toutes anecdotes explicatives et garderaient leur clarté, leur signification, leur valeur, si même nous n’avions aucun renseignement sur la personne de Corneille, ou de Racine, ou de Molière. De telles œuvres sont bien détachées, bien séparées de l’auteur. Mais Lamartine a lui-même écrit le commentaire de ses Méditations, disant comme il était mélancolique ce jour-là, et pourquoi et quelle bien-aimée occupait alors sa rêverie. Or, il est vrai que je compare des pièces de théâtre et des poèmes lyriques ; le poète lyrique chante sa peine ou sa gaieté, sa gaieté rare et dont il est moins fier que de sa peine, tandis que le dramaturge crée des personnages et les substitue à lui. Néanmoins, le romantisme a rendu la littérature, et dramatique aussi, beaucoup plus personnelle, — et « lyrique, » disait Brunetière, — beaucoup plus analogue à une confession de l’auteur : si la confession n’y est pas tout au long, du moins y devinez-vous une allusion perpétuelle à maints petits faits et à l’émoi qu’ils ont causé dans la pensée de l’auteur. Enfin notre littérature est de plus en plus sentimentale. Ainsi, elle se prête à une glose qu’elle aurait autrefois refusée. ,

Mais Flaubert ne le voulait pas. Ce fut sa prétention, sa volonté, de n’être pas sentimental, de ne paraître pas dans son œuvre, de n’y paraître pas et voire de n’y être pas. Sa doctrine de l’impassibilité, bien entendue, le ramène à l’usage ancien.

Les œuvres du XVIIe siècle, qui se passent d’un commentaire, je les comparerais aux temples de l’antiquité grecque : ils tiennent tout seuls. Les œuvres qui dérivent du romantisme ressemblent davantage aux monuments gothiques : les commentaires indispensables sont, en quelque sorte, les arcs-boutants qui leur servent d’appui. Encore faut-il que lesdits arcs-boutants ne soient ni démesurés ni en nombre tel que se perde l’architecture principale dans leur exubérante prodigalité. L’on aimerait leur discrète élégance et leur style un peu analogue à celui de la nef et du chœur, s’il se pouvait.

Le commentaire de M. René Descharmes a d’autres qualités que celles-là. Il est trop abondant, prolixe, encombré ; il n’est pas rédigé avec tout le soin désirable. Je l’ai pourtant lu très volontiers. Les recherches qu’il résume, et qu’il aurait dû résumer plus brièvement, donnent des résultats attrayants. Ces gros livres contiennent, dans leur fatras, de jolies choses. De longues pages sont reposantes : l’on sait où va le commentateur ; il l’a dit et il le répète, il ajoute une preuve à celles qu’il a déjà présentées. Puis une trouvaille imprévue vous amuse. Et puis vous relisez Bouvard et Pécuchet.