Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, peut-être en raison de leurs âges plus rapprochés, peut-être aussi par une certaine conformité d’humeur, elle parait avoir eu une intimité toute particulière. Paul exerçait à Orléans depuis quelques années les fonctions de clerc de notaire chez Me Courtois, rue de Bourgogne, à proximité de la rue du Poirier où demeuraient les Dufour. L’hiver offrait plus de ressources dans la ville d’Orléans plus grande et plus animée. Paul s’y était fait des amis et son goût du monde, son humeur sociable, trouvaient un écho chez Annette.

Nous connaissons les traits de Paul, petit et brun, le cou fort, les yeux grands et hardis sous de noirs sourcils épais. Nous connaîtrons ceux de la fille d’Annette, où règne, selon l’âge, un air de franche gaité ou un sourire doucement malicieux. Mais Annette insistera tant sur la ressemblance de la fille avec son père qu’il serait décevant de rechercher l’expression maternelle dans le visage de son enfant. Il ne paraît pas que la gaité ait dû être la marque distinctive d’Annette. Des lettres d’elle qui viennent d’être retrouvées ressort une note dominante, celle d’une sensibilité exubérante, intarissable, qui est un trait de sa nature et ne tient pas exclusivement aux tristes circonstances dans lesquelles ces lettres furent écrites. Elle était abondante en paroles, portée aux épanchements et aux larmes. Ces émotions d’une « âme sensible » étaient d’ailleurs bien faites pour lui gagner le cœur du jeune Anglais. Il était lui-même en ces années-là enclin à la mélancolie et se complaisait aux langueurs élégiaques. Son premier sonnet ne lui avait-il pas été inspiré par la vue d’une jeune fille qui pleurait au récit d’un malheur ? A cette vue, disait-il, son sang s’était arrêté dans ses veines ; « ses yeux noyés s’étaient obscurcis, son pouls avait cessé de battre ; son cœur plein s’était gonflé d’une chère souffrance délicieuse. » Les larmes de la jeune fille lui avaient proclamé sa vertu. Le penchant du poète au sentiment trouva auprès d’Annette mainte occasion de se satisfaire, cependant que le verbe copieux de la jeune Française servait à merveille son dessein d’apprendre notre langue. Tous les témoignages subséquents s’accordent à dépeindre Annette obligeante et généreuse. Par économie, il avait décidé de ne pas se payer de professeur. C’est Annette qui lui servit de précepteur. Elle écouta sans sourciller ni railler les phrases hésitantes de cet étranger. Son cœur tendre se prit d’affection pour l’adolescent, plus jeune