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suite avec violence chez quelques-uns de ses membres. Le prénom de Jean-Jacques donné en 1758 à l’aîné des frères d’Annette renforce cette impression. Le père avait dû s’éprendre des nouveautés qu’apportait Rousseau, de son culte de la nature et de la sensibilité. Il y avait néanmoins un sens vigoureux de la tradition dans cette famille fortement enracinée et dont le chef se maintenait d’âge en âge enfermé dans sa corporation comme dans une caste. Pour devenir constitutionnels, les deux prêtres eux-mêmes n’en demeuraient pas moins attachés à la religion. Charles Olivier protestera avec indignation, lorsque la Convention, pour détacher les prêtres du christianisme, garantira un secours à ceux qui abdiqueraient leur sacerdoce. Il écrira au Citoyen Administrateur, le 30 mars 1794, le jour même où Robespierre faisait arrêter les Indulgents : « Je vous prie de ne point penser à moi pour un secours, et de ne point trouver mauvais que je vous dise en toute sincérité que la religion, la conscience et l’honneur me défendent toute activité pour ce qui concerne l’abdication de mon état que je tiens de Dieu seul. » Il devait finalement, après le Concordat, en 1808, rétracter ses serments de l’époque révolutionnaire.

Enfin le témoignage de Wordsworth, l’insistance qu’il met, dans son Prélude, à dire qu’avant de connaître le capitaine Michel Beaupuy, il avait vécu parmi des adversaires de la Révolution, portent à croire que dès 1792 ceux des Vallon qu’il put fréquenter voyaient avec plus de regret que de satisfaction la marche vers la République. Quant à Annette elle-même, il est probable qu’elle resta assez indifférente à la politique jusqu’au jour où une tragédie qui l’atteignit au cœur la précipita dans la plus violente opposition. Si elle se sentit le moins du monde en désaccord avec Wordsworth sur les questions de royauté et de république, elle ne s’en émut guère, étant toute à son amour.


IV

A moins d’admettre qu’Annette soit devenue la maîtresse de Wordsworth dès la première rencontre, la naissance de leur enfant le 15 décembre 1792 force à penser qu’ils firent connaissance peu après l’arrivée du poète à Orléans où il passa l’hiver. Rien d’étonnant à ce qu’Annette ait fait un séjour même prolongé dans cette ville. C’est là que vivait son frère Paul, avec