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III

Ainsi convient-il de se représenter le jeune homme qui, en arrivant à Orléans, se mettait en quête d’un logement. Il finit par s’arrêter à celui que lui offrait M. Gellet-Duvivier, marchand de bas, rue Royale, au carrefour de la rue du Tabour appelé le Coin-Maugas. Là, pour le modique prix de 80 livres par mois, il avait en même temps la chambre et la table. Son hôte était un homme de trente-sept ans à qui la mort récente de sa femme avait dérangé la raison, et qui montrait une exaltation imprudente dans l’expression de sa haine de la révolution, — pauvre homme dont nous verrons bientôt la fin tragique. Chez lui, Wordsworth avait pour commensaux deux ou trois officiers de cavalerie et « un jeune Monsieur de Paris » qui sans doute partageaient les sentiments politiques de Gellet-Duvivier. Il ne connaissait encore personne d’autre dans la ville, quand il écrivait, le 19 décembre, à son frère aîné.

Si, cependant ; il y a aussi, lui dit-il, « une famille que je trouve fort agréable et avec laquelle j’ai fait connaissance en allant y chercher un logement. J’aurais extrêmement aimé m’y installer, mais j’ai trouvé le prix trop élevé pour moi. » Ici, le papier déchiré laisse seulement voir les mots : « J’ai... de mes soirs là... » Veut-il dire qu’à défaut d’y demeurer, il y passe ses soirées ? Et cette maison serait-elle celle où résidait Annette ? Et, s’il en est ainsi, serait-elle celle de la rue du Poirier n° 9 où vivait M. André-Augustin Dufour, greffier du Tribunal du district d’Orléans, qui avec sa femme devait prêter assistance à Annette dans son épreuve ? Simples conjectures où nous pousse le manque de détails authentiques.

La lettre à son frère aîné, où Wordsworth nous donne ces quelques renseignements, est gaie. On y sent la joie de la nouveauté. Tout lui plait, même la campagne environnante qui sans doute parait bien plate à ce montagnard, « mais qui abonde en promenades charmantes, surtout du côté de la Loire, qui est une rivière magnifique. »

Il se rend bien compte que son français n’est pas du tout au point. Pourtant, il n’a pas l’intention de prendre un maître de langue ; il s’épargnera cette dépense considérable. Aurait-il dès son arrivée trouvé les leçons de conversation bénévoles d’Annette ?